Anatole Le Braz, recueillant un récit
Approche - la fraîcheur de l’enclos t’y convie –
Et, sur ce marbre noir, épèle ce nom d’or :
Celle qui le portait, passant, fut dans la vie
La confidente de la Mort.
On eût dit qu’un reflet de l’Erèbe celtique
Tremblait dans son regard phosphorescent et doux.
Que n’as-tu pénétré sous son porche rustique
Et pu l’entendre comme nous !
Cette Parque en exil parmi nos paysannes
Eût fait passer en toi le frisson du divin…
Or, mêlée à son tour au peuple errant des mânes,
Elle n’est plus qu’un souffle vain.
Mais les graves devis qu’égrenait sa voix lente,
Ses légendes, ses chants, tout son verbe sacré,
Echo mystérieux de la Cité dolente,
Le meilleur d’elle est demeuré.
Cesse d’interroger une cendre muette :
Comme renaît la flamme en un autre flambeau,
Lise revit plus belle aux pages du poète
Qui lui dédia ce tombeau.
Cette suite de cinq quatrains en alexandrins et en octosyllabes fut écrite par Charles le Goffic. Elle se trouve dans la dernière partie du recueil de ses Poésies complètes, intitulée « En Bretagne ». Cette pièce fut lue le 20 août 1912, au cimetière de Penvénan, devant la tombe élevée par les soins d’Anatole Le Braz ((1859-1926) à sa conteuse préférée.
Lise Bellec était un de ces "sachants" qui faisait partie du groupe d’informateurs et conteurs réguliers, qui permirent à l’auteur de La Légende de la Mort en Basse-Bretagne (1893), de mener à bien la collecte des contes et récits bretons qui la constituent. Elle lui communiqua en effet neuf des cent-vingt-trois récits, Mystères "débordant de l'âme celte".
Petite femme rondelette et potelée, aux fines attaches d’aristocrate, cette couturière à la journée, sacristine de la chapelle de Port-Blanc, possédait une admirable maîtrise de la langue. On raconte que son art du dire surpassait souvent celui d’un Jean-Marie Toulouzan ou d’un Laur Mainguy. Avec Marie-Hyacinthe Toulouzan, elle fut la "reine des veillées" en terre celtique au début du XXe siècle.
Dans ce poème, hommage d’un poète breton à une conteuse bretonne, Charles Le Goffic confère à Lise Bellec une aura antique en la comparant à une « Parque en exil ». Sous sa plume, elle se métamorphose en une sibylle de l’Armor.
Monument à Anatole Le Braz, à Saint-Brieuc
Sources :
La Légende de la Mort chez les Bretons, Vol. 1, 1902, Wikisource
La Légende de la Mort, Anatole Le Braz, Préface de Claude Seignolle, Poche-Club Fantastique, 1966
Pour le Jeudi en Poésie des Croqueurs de Mots,
Thème proposé par Hauteclaire :
Légende de terre