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7 avril 2011 4 07 /04 /avril /2011 13:53

Anatole le braz et conteuse 2

Anatole Le Braz, recueillant un récit

 

 

Approche -  la fraîcheur de l’enclos t’y convie –

Et, sur ce marbre noir, épèle ce nom d’or :

Celle qui le portait, passant, fut dans la vie

La confidente de la Mort.

 

On eût dit qu’un reflet de l’Erèbe celtique

Tremblait dans son regard phosphorescent et doux.

Que n’as-tu pénétré sous son porche rustique

Et pu l’entendre comme nous !

 

Cette Parque en exil parmi nos paysannes

Eût fait passer en toi le frisson du divin…

Or, mêlée à son tour au peuple errant des mânes,

Elle n’est plus qu’un souffle vain.

 

Mais les graves devis qu’égrenait sa voix lente,

Ses légendes, ses chants, tout son verbe sacré,

Echo mystérieux de la Cité dolente,

Le meilleur d’elle est demeuré.

 

Cesse d’interroger une cendre muette :

Comme renaît la flamme en un autre flambeau,

Lise revit plus belle aux pages du poète

Qui lui dédia ce tombeau.

 

Cette suite de cinq quatrains en alexandrins et en octosyllabes  fut écrite par Charles le Goffic. Elle se trouve dans la dernière partie du recueil de ses Poésies complètes, intitulée « En Bretagne ». Cette pièce fut lue le 20 août 1912, au cimetière de Penvénan, devant la tombe élevée par les soins d’Anatole Le Braz ((1859-1926) à sa conteuse préférée.

Lise Bellec était un de ces "sachants" qui faisait partie du groupe d’informateurs et conteurs réguliers, qui permirent à l’auteur de La Légende de la Mort en Basse-Bretagne (1893), de mener à bien la collecte des contes et récits bretons qui la constituent. Elle lui communiqua en effet neuf des cent-vingt-trois récits, Mystères "débordant de l'âme celte".

Petite femme rondelette et potelée, aux fines attaches d’aristocrate, cette couturière à la journée, sacristine de la chapelle de Port-Blanc, possédait une admirable maîtrise de la langue. On raconte que son art du dire surpassait souvent celui d’un Jean-Marie Toulouzan  ou d’un Laur Mainguy. Avec Marie-Hyacinthe Toulouzan, elle fut la "reine des veillées" en terre celtique au début du XXe siècle.

Dans ce poème, hommage d’un poète breton  à une conteuse bretonne, Charles Le Goffic confère à Lise Bellec une aura antique en la comparant à une « Parque en exil ». Sous sa plume, elle se métamorphose en une sibylle de l’Armor.

 

anatole-le-brazMonument à Anatole Le Braz, à Saint-Brieuc

 

 

 

Sources :

La Légende de la Mort chez les Bretons, Vol. 1, 1902, Wikisource

La Légende de la Mort, Anatole Le Braz, Préface de Claude Seignolle, Poche-Club Fantastique, 1966

 

Pour le Jeudi en Poésie des Croqueurs de Mots,

Thème proposé par Hauteclaire :

Légende de terre

 

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6 avril 2011 3 06 /04 /avril /2011 17:43

Bounine par Léonard turzhansky

Ivan Bounine par Léonard Turzhansky

 

 

Dans son Dictionnaire Amoureux de la Russie, Dominique Fernandez considère que Ivan Bounine est un des quatre plus grands styliciens russes du XX° siècle, avec Pasternak, Boulgakov et Nabokov. A la lecture de La Vie d’Arseniev, sous-titrée Jeunesse, on ne peut que souscrire à ce jugement, tant l’écriture de cette fiction autobiographique vous ravit.

Le premier écrivain russe à obtenir le prix Nobel de Littérature (en 1933) y conte l’enfance et la jeunesse passionnée d’Alexis Arseniev, dit Aliocha, sur le domaine familial de Batourino, et son éducation sentimentale auprès de Lika, dont la mort à la fin du roman sonne le glas de ses rêves, en même temps qu’elle lui ouvre le vaste monde.

Aux côtés du jeune barine, « benêt blasonné », « vêtu du fameux pardessus plissé à la taille et de la casquette des nobles », nous découvrons ce monde de l’aristocratie terrienne russe, qui fut englouti par la Révolution d’Octobre. Le narrateur s’interroge : « Pourquoi est-il arrivé à la Russie ce qui lui est arrivé ? Nous l’avons vue sombrer sous nos yeux en un laps de temps si incroyablement court ! » Poésie mélancolique de la « décrépitude des hobereaux » et d’une Russie morte, dont le narrateur rêve sous la forme d’une jeune femme en deuil.

Il brosse le portrait de ce père qu’il s’en veut de n’avoir pas su aimer comme il le méritait, ce hobereau oisif et charmant, qui chassait et jouait de la guitare, mais qui mena sa famille à la ruine. S’il parle peu de sa mère, « un être à part », il dit pourtant : « Je la sentis probablement, en même temps que moi-même. »  Et l’on comprend que celle qui était « la tristesse incarnée » joua un grand rôle dans la formation de sa personnalité tourmentée. Avec le personnage de son frère Georges, se dessine la silhouette de ces fils de famille qui s’engagèrent aux côtés du « peuple souffrant » en entrant dans la clandestinité. Le narrateur est perplexe sur ses motivations et sur ce qu’il considère comme le gaspillage des talents de toute une classe sociale.

Au milieu de l’infini de la plaine russe, « dans un champ nu dont un Européen ne peut se faire aucune idée », revit tout un monde disparu : les messes à Rojdestvo, avec la « tiédeur, un air lourd chargé d’odeurs à cause de la foule, du flamboiement des cierges, du soleil inondant la coupole » ; les promenades dans le village de Stanoïa, « vieille ville de Russie », la vie quotidienne d’un collégien en pension chez des petits-bourgeois, les voyages à travers une « terre qui […] leurre perpétuellement ».

Mais ce qui fait le prix de ce livre, c’est la manière inimitable dont il est écrit. Gide l’a remarquablement définie dans une lettre à l’écrivain russe : « Lorsque j’écoute un récit de vous, j’oublie tout le reste : ça y est. Je ne connais pas d’œuvre où le monde extérieur soit en contact plus étroit avec l’autre, le monde intime ; où la sensation soit plus exacte et irremplaçable, les propos plus naturels et à la fois plus inattendus… » Les événements vécus avec acuité par Aliocha suscitent en effet chez lui des questions existentielles. C’est le corps écrasé de Senka dans la Crevasse qui lui fait éprouver la matérialité de la mort : « Qu’était-il maintenant ? » C’est la mort de  sa sœur Nadia, à l’occasion de « la nuit la plus terrifiante de son existence ». C’est la disparition brutale de Pissarev qui l’angoisse : « Est-ce lui cette chose épouvantable…? » alors que les prêtres affirment que « Christ est ressuscité d’entre les morts ».

Quel art maîtrisé pour dire la joie de grandir dans « un océan de blé sans fin », dans une « contrée perdue », pendant les longs étés, la perception de « la magnificence divine du monde » auprès de la Crevasse, « le plus perdu de tous les coins perdus du monde », la « stupéfaction non exempte de souffrance » devant la splendeur d’une nuit de pleine lune ossianique, le frisson amoureux devant la jeune Sachka, « premier émoi de l’expérience humaine, la plus mystérieuse qui soit », « le sens réellement divin des couleurs du ciel et de la terre » : « Ce bleu lilas à travers les branches et le feuillage, je m’en souviendrai encore en mourant. » Arseniev n’est-il pas celui à qui son père disait : « Mais toi, qu’est-ce que tu possèdes en dehors de ta belle âme ? »

Sur cette terre russe si bien décrite, nous assistons à la naissance du poète et de l’écrivain, comme une réminiscence, grâce à la lecture de Don Quichotte ou de Robinson Crusoé : « Dans un champ de chez nous, sous le ciel de Tambov, je me « rappelai » tout ce que j’avais vu ou vécu jadis, dans d’autres existences antérieures et lointaine, avec une si extraordinaire acuité que par la suite […] il ne me restait plus qu’à dire : oui, oui, c’est exactement ce que je me suis « rappelé » pour la première fois il y a trente ans ! » Bounine nous livre son premier éblouissement pour Pouchkine, il nous explique comment les récits de Gogol prirent la forme de ce que l’auteur des Ames mortes appelle le « corps vital », il nous rappelle « l’indicible beauté du Dit du prince Igor », il souligne comment « la poésie de l’âme et de la vie » devint sa vocation, ainsi que son père l’avait prédit.

Et quelles belles pages que celles où le narrateur s’interroge sur l’écriture ! C’est à Orel  qu’il découvre comment il faut écrire : «  … juste trois touches : neige , masures, et lumière rouge dans l’une d’elles… rien d’autre ! » Et, un peu avant, décrivant une taverne de cochers, il dira : « Tableau de mœurs  populaires ? Non, vous n’y êtes pas ; seulement l’observation de ce plateau, de cette ficelle mouillée. » A la question : « Ecrire sur moi. Mais comment ? », il répond : « Ecrire simplement ce que l’on sait, ce que l’on sent. » C’est ce que Jacques Catteau dans sa préface à l’édition du Livre de Poche appelle « une poétique de l’existentiel ». Il y met en relief cette « double tension de l’écriture de Bounine ; limpidité et complexité, concision et lyrisme, nervosité et somptuosité, éclat du soleil et velours de l’ombre.»

Cette même ambiguïté est à l’œuvre dans la subtile description de la relation amoureuse qu’Aliocha entretient avec Lika. Celle-ci lui fera découvrir l’amour, ce « nouveau lien terrible », mais aussi « l’éternel leurre de l’amour absolu ». Après de nombreux atermoiements, les deux amants finiront par travailler aux statistiques, dans la ville de Poltava, en Petite Russie, chez Georges, le frère d’Aliocha. Ce dernier, en perpétuelle quête d’ailleurs, ne saura pas se contenter de cet amour. Ils en connaîtront l’usure et, dévorée par la jalousie, Lika finira par quitter définitivement son « cosaque errant ». Quand Aliocha retrouvera sa trace, il apprendra en même temps qu’elle vient de mourir d'une pneumonie. Bien plus tard, il la verra en rêve et éprouvera  « une fusion charnelle et spirituelle si complète » qu’elle lui procurera un sentiment de plénitude intense jamais éprouvé. Et c’est sur cette notation, qui exalte l’absolu de l’amour, que s’achève le roman.

Dans cette ode magnifique à une Russie disparue, un jeune homme, sensible au « détail infime, à l’impression la plus fugitive », s’interroge sur l’absurdité du monde, symbolisée par la mort d’un Lermontov, tué par « un énorme vieux pistolet brandi par un certain Martynov ».  Combattant sans cesse « avec l’irréalisable », il nous fait approcher la propension de l’âme  russe à l’oisiveté et à la rêvasserie, sa folie suicidaire, sa fascination pour l’autodestruction. Mais surtout un jeune homme, qui rêvait d’être « un khan en Crimée », y contemple ce qu’il fut et se demande ce qu’il est devenu.

 

 

Sources :

La Vie d’Arseniev, Ivan Bounine, Préface de Jacques Catteau, Biblio Roman, Préface de Jacques Catteau, Le Livre de Poche, 1999.

Dictionnaire Amoureux de la Russie, Dominique Fernandez, Article « Bounine (Ivan) », Plon., 2008.

 

 

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4 avril 2011 1 04 /04 /avril /2011 23:00

  Aborigènes Protégé

Pancarte dans les Jardins botaniques de Sydney,

commémorant  "the Day of Mourning", le Jour de Deuil du peuple aborigène,

le 26 janvier 1938

 

C’était il y a deux ans et demi, dans les jardins botaniques de Sydney. Une série de panneaux y rappelaient le long et douloureux parcours des premiers habitants de l’Australie, les Aborigènes, pour la reconquête de leur dignité perdue.

Cette photo et ce texte évoquent le 26 janvier 1938, qui fut « Jour de deuil », et journée de protestation contre les 150 années de colonisation britannique, les traitements impitoyables et la saisie des terres dont ce peuple fut la victime.

Le reconnaissance de la citoyenneté australienne ne lui fut acquise qu’en 1967 et ce n’est qu’en 2008 que le gouvernement de Kevin Rudd a demandé pardon aux Aborigènes pour l’assimilation forcée des « générations volées ».

En 1780, lorsque les Anglais débarquèrent  sur la terre du vent du Sud, ne l’avaient-ils pas déclarée « Terra nullius », autrement dit « Terre vierge » ?

A l’occasion de la proposition de cette photo pour la Communauté Entre Ombre et Lumière, je publie de nouveau ce poème, écrit après mon voyage, et inspiré par le sort tragique des Aborigènes.

 

Au rocher sacré

 

Dans un repli du rocher

J’ai vu la vie d’un peuple

En transhumance

Aux lointains des vallées mortes

 

Il lisait dans le doux de la nuit

Des couronnes de feuilles

Ceignaient son front

Le ciel était son baldaquin

 

Dans les plis de la terre

J’ai vu l’enfant noir

Aux cheveux blonds

Il se baignait dans la clarté de l’eau

 

Avec son bâton

Il dessinait des ronds

Sur la terre rouge

C’était le Temps du Rêve

 

Dans le creux de l’ancien caillou

J’ai vu l’homme aux bras de lune

Et j’ai rêvé la femme

Aux seins de soie

 

Dans l’anfractuosité de la pierre

J’ai vu l’autre à la couleur de neige

Il fendait les crânes

Il crevait les yeux

 

Dans l’obscurité minérale

J’ai vu le fossoyeur perfide

Qui creuse le chagrin

Et les larmes

 

Dans les recoins secrets

J’ai vu la mort d’un peuple

Au rocher sacré

Qu'ils appellent Uluru

 

 

 

Pour la Communauté de Hauteclaire,

Entre Ombre et Lumière,

Thème proposé par Anne Le Sonneur :

Pancartes, panneaux, enseignes de villes

 

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4 avril 2011 1 04 /04 /avril /2011 16:50

  Camille claudel adjani film

Camille Claudel (Isabelle Adjani), sculptant La Petite Châtelaine aux cheveux tout à jour,

dans le film Camille Claudel, de Bruno Nuytten (1988)

 

 

J’ai toujours pensé que ma grand-mère maternelle aurait pu devenir un grand sculpteur. Alors qu’elle n’avait que quinze ans, n’avait-elle pas été la lauréate d’un grand Salon parisien ? Ne passait-elle pas le plus clair de son temps dans son atelier-serre, que ses parents lui avaient aménagé dans le jardin de leur hôtel particulier lillois ? Et que j’aime à regarder cette ancienne photo d’elle, toute jeune fille, au milieu de ses travaux d’atelier !

Elle avait épousé très jeune mon grand-père, ce beau jeune homme aux traits réguliers, à la bouche ferme, au front haut, surmonté d’une belle raie médiane. La Grande Guerre avait épargné leur amour.

Dans leur nouvelle vie à deux, mon grand-père avait souhaité que sa femme ne sculptât plus. Qu’avait-elle pensé alors, cette tendre épousée, qui, par amour, avait renoncé au voluptueux plaisir des mains dans la terre glaise, à la révolte de la pierre sous les coups du burin, à l’éclosion de ses rêves sous la forme de pièces sculptées ? Alors, c’était ses enfants qui étaient devenus ses œuvres et elle en avait eu neuf.

Puis, mon grand-père avait « fait de mauvaises affaires », ainsi qu’on le disait pudiquement dans certains milieux bourgeois. Ma grand-mère, pleine de courage, s’était résolue à travailler. Elle allait, me semble-t-il, vendre des boutons et autres colifichets à ses amies et ses parentes, dont je n’ose imaginer les regards de commisération qu’elles devaient poser sur la déclassée, contrainte de faire du porte à porte.

La ruée sauvage de Hitler avait contraint la famille à abandonner la capitale du Nord de la France et à trouver asile en Berry. On raconte qu’à cette époque, ma grand-mère avait tenu tête à des officiers allemands, venus réquisitionner la maison dans laquelle la famille avait trouvé refuge. C’était une vraie Mère Courage que ma grand-mère !

Et le sort s’était acharné sur elle. Elle avait connu l’indicible et incommensurable douleur de perdre quatre de ses enfants. Dès lors, sa vie n’avait plus été que l’ardent désir d’aller les retrouver, aspiration qu’elle exprimait dans de poignants poèmes.

Dans mon enfance et mon adolescence, j’ai bien souvent passé des vacances dans La Vieille Maison- c’était son nom- qu’elle habitait avec mon grand-père, près de Bourges. On s’y retrouvait entre cousins germains : on randonnait en solex, on visitait les châteaux berrichons, on allait chercher le lait à la ferme dans des bidons de fer-blanc, on achetait des bonbons à un franc dans la vieille épicerie, le long de la Route Nationale, on jouait au ping-pong dans la grande cuisine humide en contrebas, et qui sentait la pomme surie.

Peu nous importait à nous, ses petites-filles, que notre grand-mère, nous interdît de porter des pantalons puisque nous ramassions avec elle les myrtilles rouges et blanches, qu’elle nous apprenait à faire des pains perdus, qu’elle nous racontait l’histoire de Bonne-Biche et de Beau-Mignon ou les aventures du chevalier de Maison-Rouge. Sous le regard du buste ciré de La Florentine, à la chevelure en bandeaux et au sourire énigmatique, qu’elle avait sculpté autrefois, elle nous faisait pénétrer dans son monde, celui où Viviane ensorcelle Merlin et où Marie-Antoinette s’excuse devant son bourreau.

J’ai longtemps correspondu avec cette grand-mère, à qui je savais que je pouvais tout dire. Car, si elle était intransigeante sur les grands principes, elle possédait une qualité d’écoute incomparable. Et même si je ne tenais pas compte de ses conseils, je lui en aurais voulu de ne pas me les donner.

J’ai eu par la suite le grand bonheur que ma grand-mère, qui avait vécu toutes les joies et toutes les douleurs de la maternité, connaisse mes propres enfants. Et je garde en mémoire un de nos derniers souvenirs communs, cette visite à Fontevraud, où je lui fis découvrir le gisant d’Aliénor d’Aquitaine, la reine dont elle admirait la sagesse politique et l’érudition. Car j’oublie aussi de dire que ma grand-mère, passionnée d’Art et d’Histoire, mais qui avait peu voyagé, connaissait par cœur les tableaux des grands musées européens.

Puis ma grand-mère s’en est allée rejoindre ses enfants trop tôt perdus, quelques six mois avant que ne s’en aille à son tour mon grand-père. Mais la légende de ma grand-mère ne s’arrête pas là.

Bien des années après sa mort, ma mère et ma sœur ont eu l’occasion de retourner dans la belle maison de son enfance, habitée désormais par d’autres propriétaires. Vous me croirez si vous le voulez : on les a menées dans le fond du jardin, elles sont entrées dans la serre, dont une partie du toit était cassée, elles y ont découvert avec ébahissement la collection des bustes sculptés par ma grand-mère. Pendant de longues décennies, ils y étaient demeurés, personne n’ayant jugé bon de les enlever ! Et c’était comme si ma mère et ma sœur avaient pénétré dans cette photo sépia, celle sur laquelle se tient la fragile silhouette d’une adolescente, ma grand-mère artiste, debout pour l’éternité au milieu de ses rêves sculptés.

 

 

Pour Le Défi de la Semaine N°52,

Thème proposé par Hauteclaire :

La vérité de votre légende

 

 

 

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3 avril 2011 7 03 /04 /avril /2011 21:43

 

Le silence d'Isaac 2

 

Dans un décor de branchages disposés en fond de scène, de feuilles mortes et de petits cailloux formant un chemin, sous une belle lumière dorée, sur les notes égrenées par la guitare de Jeff Sterwann, la conteuse Annie Peltier s’avance au milieu de grandes caisses en carton et en bois. Revêtue d’un long caftan boutonné de soie violette, coiffée d’un couvre-chef noir, elle défait le lien rouge d’un rouleau de parchemin. Le silence se fait et les enfants pénètrent dans l’histoire.

 

Le silence d'Isaac

 

La diseuse ouvre avec lenteur une des grandes boîtes et un paysage apparaît. L’histoire se passe à la fin de l’hiver, lorsqu’il arrive qu’il neige parfois au printemps. Siméon et Isaac sont deux amis inséparables, qui vivent le bonheur de leur amitié, fabriquant des bonshommes de neige, quittant le port en bateau pour aller admirer les sirènes. Annie Peltier les fait exister en les personnifiant tout simplement par l’index et le majeur de chaque main, recouverts de deux dés rouges et bleus.

Mais Siméon va mourir et Isaac se retrouve seul.  « Sa voix s’éteint  comme la flamme d’une bougie. » Alors que sa mère l’appelle, il part pour une longue déambulation dans la neige : « Il fallait qu’il parte ! » Avec beaucoup de délicatesse, de mimiques et de gestes pleins de suggestion, soutenue par les notes de la guitare, la conteuse, qui transporte une caisse en manière de sac à dos, emmène son auditoire aux côtés d’Isaac, au sein de la forêt profonde. Un sifflet lui permet d’imiter le chant des oiseaux, un papillon volète à l’extrémité d’une canne de bambou…

 

Le silence d'Isaac 5

 

Peu à peu, Isaac sent « la tristesse fondre au fond de sa gorge comme un sucre dans l’eau », et une fleur pousser en lui. Puis la conteuse fait surgir un bel arbre rouge qui apprend à Isaac qu’il peut apprivoiser la Nature : "Ouvre grand ton coeur!" lui dit-il. L’enfant part alors à la rencontre du Peuple silencieux et, même si Siméon lui manque toujours, « quelque chose de doux et rassurant naît en lui ». Au contact de la Nature, la voix d'Isaac lui revient.

De retour chez lui, Isaac a appris à ne plus craindre la Nature et à l’aimer. Il a retrouvé le goût de jouer, de faire pousser les fleurs, d’arroser le jardin, de ramasser du bois, de puiser de l'eau à la rivière et de chanter.

 

Le silence d'isaac 4

 

Et dans un dernier dialogue avec le chanteur-guitariste, dans lequel Isaac s’émerveille de la renaissance de sa voix, la conteuse quitte doucement la scène. Dans un au-revoir  fredonné, elle murmure aux enfants que, désormais, la voix d’Isaac est « comme l’oiseau au printemps qui ne cesse de chanter ».

Ce joli conte théâtralisé pour enfants, on a pu l’écouter samedi 02 avril 2011, à 18h, à la Maison des Associations, à Rou-Marson. Annie Peltier, de la Compagnie Vent Vif, y était invitée par la Bibliothèque de la commune (Réseau des Bibliothèques Saumur Agglo), dans le cadre de l’animation d’un semestre consacré à la défense de la nature. Accompagnée d’un guitariste chantant en yiddish et en langue rom, la comédienne, qui crée elle-même ses délicats décors colorés miniaturisés, a proposé à une vingtaine d’enfants, sous le charme, un périple initiatique, d’une chantante poésie. « Je voudrais que mes spectacles soient un murmure, un bruissement de feuillages qui fasse lever un regard », dit-elle. Et à voir les yeux émerveillés des enfants, on ne doute pas un instant qu’elle y ait réussi.

  Le silence d4isaac 4

 

 

 

 

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2 avril 2011 6 02 /04 /avril /2011 21:44

 

Dolmen Pr

Dolmen à Rou (Vendredi 1er avril 2011)

 

 

Cela  fera dix ans que je vis à six cents mètres de ce beau dolmen, dont j’ignorais jusqu’à l’existence. Il m’aura suffi de remonter l’étroite rue montueuse de mon village, de passer le carrefour, dominé par une petite croix de fer, de longer quelques maisons, de tourner à gauche après l’avant-dernière maison, de prendre un petit chemin jamais emprunté pour le découvrir.

La pierre tabulaire est à moitié effondrée au milieu des chênes et les jeune troncs semblent la supporter en un dernier effort. En cet après-midi ensoleillé de printemps, alors qu’un tout jeune cerisier éclate de toutes ses fleurs blanches, j'ai du mal à imaginer que ces pierres, disposées avec art, aient pu être sépulture. A l’intérieur, des graffitis, des cœurs, des prénoms d’amoureux, un dessin qui représente un oiseau, un autre un homme avec une sorte de coiffe.

En ce 1er avril 2011, je me dis qu’il est là depuis cinq mille ans. Et soudain, j’aperçois dans sa pierre rugueuse une étincelle d’éternité.

 

 

 

Pour la Communauté de Hauteclaire,

Week-End du Petit Patrimoine

 

 

 

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2 avril 2011 6 02 /04 /avril /2011 09:08

  Hirondelles P

       Hirondelles au nid sous le porche (Avril 2010)

 

 

 

 

Quand s’en revient l’hirondelle

Sous le porche de tuffeau

Le ciel rit à tire-d’aile

 

Elle vole en sentinelle

En piqués pyramidaux

Quand s’en revient l’hirondelle

 

Son nid comme une nacelle

Se blottit en contrehaut

Le ciel rit à tire-d’aile

 

Elle crie sa ritournelle

Et file son écheveau

Quand s’en revient l’hirondelle

 

Son ballet vif m’ensorcelle

Blanc et noir allegretto

Le ciel rit à tire-d’aile

 

Que j’aime la belle oiselle

Qui me dit le renouveau

Le ciel rit à tire-d’aile

Quand s’en revient l’hirondelle

 

 

 

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1 avril 2011 5 01 /04 /avril /2011 17:42

  Cardamane Pr

Fleurs de cardamine dans le sous-bois (Vendredi 1er avril 2011)

 

 

 

C’est un premier avril

Et le printemps jubile

Tout de vert et de blanc

Sous un ciel insolent

 

C’est un premier avril

Et le geai volubile

Surpasse le coucou

Coureur de guilledou

 

C’est un premier avril

Et le chemin distille

Les chaleurs des sylvains

Sous les aiguilles de pin

 

C’est un premier avril

Eclatant de béryl

Le sous-bois s’illumine

Des fleurs de cardamine

 

 

 

 

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31 mars 2011 4 31 /03 /mars /2011 18:44

Bretonnes sur le quai Charles Cottet

Bretonnes sur le quai, Charles Cottet

 

A Gabriel Vicaire

 

C’est Marivône Le Guînver,

Avec ses coiffes de batiste,

C’est Maryvône Le Guînver

Qui passe sa vie à rêver.

 

Marivônic, Dieu vous assiste

Dans l’avenir et le présent !

Marivônic, Dieu vous assiste :

Votre regard paraît triste !

 

Marivônic s’en va disant

Aux bateliers de la prairie,

Marivônic s’en va disant :

« N’est-ce pas l’heure du jusant ? 

 

« Et n’a-t-on pas vu, je vous prie,

Dans le chenal de Kerenor,

Et n’a-t-on pas vu, je vous prie,

Le vaisseau de sa seigneurie,

 

« Le beau vaisseau d’ivoire et d’or

Avec des mâts en palissandre,

Le beau vaisseau d’ivoire et d’or

De monseigneur Hadanic-Vor ? »

 

II

 

Hélas ! le soir tombe et mêle sa cendre

Aux brouillards légers qui montent des eaux,

Et les bateliers n’ont rien vu descendre

Sur le chenal bleu bordé de roseaux.

 

Mais Marivônic espère quand même,

En vain le temps passe, elle attend toujours,

Et, pour faire honneur à celui qu’elle aime

On ne la voit plus qu’en riches atours.

 

Regardez ! Sa coiffe est toute en batiste.

Ah ! qu’elle est jolie avec son justin

Où de fins galons, couleur d’améthyste,

Courent sur la laine et sur le satin !…

 

Et l’année ainsi va chassant l’année.

Marivône est vieille et marche à pas lents,

Et rien n’a changé dans sa destinée,

Sinon qu’aujourd’hui ses cheveux sont blancs.

  

III

 

Et la voilà vieille, vieille,

Au point qu’elle n’a, dit-on,

Sa pareille

Dans aucun bourg du canton.

 

Ses beaux yeux n’ont plus de flamme ;

Elle tremble au moindre vent ;

Mais son âme

Est aussi jeune qu’avant,

 

Et sous son hoqueton jaune,

Malgré l’âge et le besoin,

Marivône

Est toujours mise avec soin.

 

Songez donc, si tout à l’heure

L’impatient jouvenceau

Qu’elle pleure

Débarquait de son vaisseau

 

Et s’en venait d’un air tendre,

Avec deux ménétriers,

Pour lui tendre

L’anneau blanc des mariés !

 

IV

 

Or, un jour de printemps que la brise était douce,

Le beau vaisseau parut au détour du chenal,

Le jusant vers la mer l’entraînait sans secousse

Et ses hunes baignaient dans le vent matinal.

 

Mais à mesure aussi qu’il approchait des berges

On voyait que ses mâts étaient tendus de deuil.

Ses sabords restaient clos et quatre rangs de cierges

Flambaient sur le tillac autour d’un grand cercueil.

 

Marivône en silence attendait sur la grève,

Ses yeux gris avivés d’on ne sait quel éclat,

Car elle discernait maintenant qu’aucun rêve

N’a d’accomplissement sinon dans l’Au-Delà.

 

Elle portait toujours son vieux hoqueton jaune

Et, quand le noir vaisseau l’eut prise sur son bord,

A pas menus, les paumes jointes, Marivône

Alla s’agenouiller devant le prince mort.

 

Elle pria longtemps en fervente chrétienne,

Puis, disposant la couche où dormait son amant,

Elle étendit sa tête au chevet de la sienne,

Fit un signe de croix et mourut doucement.

 

J’aime beaucoup ce poème de Charles Le Goffic, qui appartient à une série de sept poèmes, regroupés dans Petits Poèmes, dédiés à José-Maria de Heredia. A travers une aura de légende, le poète y dit l’attente éternelle de celle dont l’amant est parti sur la mer. Tout une vie s’y déroule, de la jeunesse à la vieillesse de Marivônic, amoureuse éperdue de son prince. Les « mâts tendus de deuil » m’évoquent la voile noire du bateau de Tristan. Marivônic meurt d’amour, tout comme succomba Yseut la Blonde, croyant que Tristan était mort.

Pour dire cette tragique histoire de la femme qui reste à terre, Charles Le Goffic a su varier avec art le rythme des vers. Usant de l’octosyllabe (I), du décasyllabe (II), de l’heptasyllabe et du trisyllabe (III), et enfin de l’alexandrin (IV), multipliant les enjambements, il nous donne à voir et à entendre cette éternelle amoureuse au bout du quai, dont la vie ne fut qu’un rêve d’amour.

 

 

Pour le Jeudi en Poésie des Croqueurs de Mots,

Thème proposé par Hauteclaire : Légendes de mer

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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29 mars 2011 2 29 /03 /mars /2011 07:45

   Père et fils P

  Père et fils aux courses (Dimanche 04 octobre 2010, Qatar Prix de l'Arc de Triomphe)

 

Ils sont allés

Au paddock

Ils les ont vu tourner

Ils les ont admirés

Ces Pégases ailés

Ces chevaux très racés

Il lui a expliqué

Les casaques en couleurs

La folie des parieurs

Ils ont lu les journaux

Vu les dames à chapeaux

Ils ont poussé des cris

Leurs jumelles brandies

Trépigné transpiré

Devant la piste verte

Quant passent les chevaux

En sauvage galop

 

Il sont là tous les deux

Semblables et heureux

Ils sont là deux jumeaux

Dans l’amour des chevaux

 

 

Pour la communauté Entre Ombre et Lumière,

Thème proposé par Alain : sur les pas de Doisneau,

Scènes de vie en noir et blanc 

 

 

 

 

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Voie lactée ô soeur lumineuse

Des blancs ruisseaux de Chanaan

Et des corps blancs des amoureuses

Nageurs morts suivrons-nous d'ahan

Ton cours vers d'autres nébuleuses

 

La chanson du Mal-Aimé, Apollinaire

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