Le Couronnement et le sacre de Napoléon, empereur des Français et roi d'Italie, (02 décembre 1804)
Jacques-Louis David, 1805-1807
Notre-Dame, à Paris, dore tes tours funèbres;
Rehausse ta muraille et chasse tes ténèbres;
Monte sur tes degrés jusqu’où vont les autans,
Et laisse en bas ta porte ouverte à deux battants,
Afin que, sur leur char, cent fameuses journées,
Couleuvrines d’Arcole, à Thèbes basanées,
Vieux drapeaux des Césars, par les balles usés,
Et canons musulmans dans leur sang baptisés,
Et la foule et le bruit, et tout ce qui, sur terre
Fait plier les genoux et baiser la poussière,
Entrent en même temps dans la nef et le chœur;
Car voici sous ton porche, un pape, un empereur.
Un pape sous son dais qui tient une couronne
Et dit en s’inclinant : « C’est moi qui te la donne,
Quand tu penses la prendre, ô César. Gloire à toi!
Je sacre ton épée et ton manteau de roi,
Afin qu'en te voyant passer dans les batailles
On dise : "Le voici, l'ange des funérailles !"
Désormais garde bien ce bandeau sur tes yeux,
Ainsi que je l'attache, et n'en romps pas les noeuds.
Qu'il soit dans tes projets, qu'il soit dans ton génie,
Qu'il soit dans ton sommeil et dans ton insomnie !
Qu'il soit dans ta ruine ou ta prospérité,
Et que rien ne le rompe avant l'éternité !
Je te sacre empereur de ce grain de poussière
Qui s'appelle le monde, et qu'un vent de colère
A poussé sous tes pieds. Sois en maître et seigneur !
Sur son faîte bâtis ton rêve de grandeur.
Eux-mêmes devant toi les rois se découronnent.
Entends ! la foule chante et les orgues résonnent :
L'orgue
Empereur, sous ton dais et sous ton allégresse,
Ne sens-tu pas ton coeur qui frémit par hasard ?
Au festin de ta gloire assieds-toi sans ivresse
Comme au festin de Balthazar.
Ne vois-tu pas aussi là cette main divine,
Au milieu de l'encens de toute la cité,
Qui sur le mur blanchi de ta prospérité
Ecrit le nom de ta ruine ?
Convive du Seigneur, reçois le pain et l'eau !
Déjà pâle d'ennui, quand ta coupe est remplie,
Ne sens-tu pas au bord, comme une amère lie,
Le goût amer de Waterloo ?
Dans le vaste océan de l'espérance humaine
Où ta voile défie et le vent et les flots,
N'entends-tu pas gronder au fond, comme un sanglot,
Le flot lointain de Sainte-Hélène ?
Et le chant a passé comme passent les vents ;
Et les morts ont souri de l'orgueil des vivants.
Edgar Quinet
De ce poème, commentaire "pompier" du sacre de Napoléon, je ne retiendrai que les deux derniers vers, que nombre de politiques à l'ego surdimensionné feraient bien de méditer. Ignoreraient-ils qu'ils seront tous un jour à la place de Balthazar ?