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18 janvier 2023 3 18 /01 /janvier /2023 15:05

 

En exergue à mon sixième recueil de poèmes, Flânerie sépia, qui vient de paraître chez Mon Petit Editeur, j’ai choisi de placer des vers de Guy Goffette,

« […] la beauté, c’est que tout

va disparaître et que, le sachant,

tout n’en continue pas moins de flâner. »

VII, Un peu d’or dans la boue,

La vie promise (1991), Guy Goffette,

Poésie / Gallimard, p. 187

 

Celui qui écrit des Petits riens pour jours absolus est un poète du « réel le plus simple et le plus quotidien » que j’aime beaucoup. Je l’avais rencontré aux Poétiques de Saumur il y a quelques années, en septembre 2013. Il m’avait dédicacé La vie promise, et il me l’avait souhaitée « sous les ciels changeants de la Loire et dans la lumière des poèmes ». Ses vers disent que la beauté existe et que, même si elle est éphémère, elle demeure, et qu’il importe que nous puissions continuer à la saisir dans la flânerie.

Dans ce sixième recueil, les poèmes s’échelonnent de 2008 à 2022. Certains sont classiques puisqu’il y a par exemple un sonnet, d’autres sont ponctués ou ne le sont pas. Leur forme m’est souvent dictée par le premier vers qui enclenche la suite et impose son rythme.

La flânerie, c’est le fait de se promener sans hâte, en s'abandonnant à l'impression et au spectacle du moment. Cela renvoie à une déambulation sans but, une errance à travers l’espace et le temps. S’y attache aussi une connotation de hasard. La flânerie est ici de couleur sépia, de la couleur des photos d’autrefois et, pour moi, la couleur du temps qui passe. Ainsi deux poèmes s’attardent sur une photo, celle de mon père et de moi-même quand nous étions enfants.

Quelques poèmes sur le Jour de l’An évoquent le passage du temps, tout comme un autre sur le grenier, lieu où le temps se lit à travers la poussière et l’effritement des objets. Dans ce recueil, je déambule encore sur la digue et sur la plage, devant la mer, là où je suis née. Il y a aussi des errances dans Paris, dans des livres que j’ai aimés. J’y rencontre de nouveau des visages connus ou entrevus et j’évoque des promenades dans mon jardin, notamment pendant le confinement.

Avec ces textes, je cherche modestement à faire revivre l’émotion de ces instants éphémères du quotidien, qui ne reviendront plus, ayant revêtu cette mélancolique couleur sépia. « Mélancolie » est le mot de la langue française que je préfère. Je l’avais souligné au début de mon recueil Mais l’ancolie…, paru en 2015 : « J’en aime le parfait équilibre entre les cinq consonnes et les cinq voyelles, la douce tristesse de la deuxième syllabe nasalisée s’harmonisant avec les deux liquides, tandis que le i final apporte sa stridence plus légère au terme du mot. »

J’ajoute que si les poèmes sont datés précisément, c’est sur la demande d’une de mes lectrices lors de la parution de mon premier recueil. « On aimerait connaître ce qui t’a inspirée, les conditions dans lesquelles tu as écrit le poème » m’avait-elle dit. C’est donc à sa demande que les poèmes sont inscrits précisément dans le temps.

J’ajouterai que la poésie m’est un bon viatique pour le quotidien. Avec le groupe des Poédiseurs auquel j’appartiens, nous nous retrouvons une fois par mois pour partager nos découvertes de la poésie contemporaine. Actuellement, nous préparons une lecture pour le Printemps des Poètes 2023, dont le thème est « Frontières ». Ce sera le 18 mars 2023 à 15h, à la Maison des Associations de ROU-Marson. A la demande d’Anne Faucou et de son association Matrimoine, nous serons aussi à la MJC de Saumur le samedi 25 mars à 15h pour évoquer les femmes en poésie.

 

 

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31 octobre 2020 6 31 /10 /octobre /2020 17:43

Mère de douleur, Picasso, 1959

Cet après-midi, relisant le recueil de quatrains, Enfin le royaume (2018), de François Cheng, je suis de nouveau impressionnée par son immense compassion pour l’Autre. En cette époque de violence extrême, je reproduis ici plusieurs de ses quatrains inspirés.

 

Page 86, ce quatrain me fait penser à Victorine Dartois et aux victimes des récents attentats islamistes :

Violettes violées,

Rouge-gorge égorgé,

Nuit serait partage,

Si cauchemar n’est.

 

Page 95, c’est un quatrain dédié à une écrivaine et sinologue française qui s’est suicidée en 2007, à l’âge de 36 ans :

A Lisa Bresner

La terrible vie terrestre n’est point pour toi.

Ton amour trop vaste pour qu’on pût t’aimer ;

Ton rêve trop haut pour qu’on te suivît. Par la fenêtre,

En un seul cri, tu rejoignis l’ange, ton propre être.

 

Page 98, le quatrain est écrit à la mémoire d’Estelle Mouzin :

A Estelle que nous n’oublions pas

et à toutes les autres

Le gouffre où la bête a broyé ton innocence,

Il est en nous. Jusqu’au bout nous te chercherons.

Pour toi, nous gardons ce qui nous reste de tendresse,

Et nous veillons à ce que rien ne nous apaise.

 

Page 127, le poète nous exhorte à  faire face :

Tenir bon. Jusqu’à l’écœurement,

Jusqu’au retournement, chair broyée,

Os rompus, chute dans le Rien, seul à même

De réinventer le Tout. Tenir bon.

 

Et page 148, une forme d’espoir, en dépit de tout :

Tu te souviens des noms ; tu entends

Le tien. Quelqu’un doit se souvenir

De tout. D’outre-ciel une voix pérenne

Tisse la toile à n’en plus finir.

 

 

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30 septembre 2019 1 30 /09 /septembre /2019 18:29

Pour la deuxièmes fois, Dany Lecènes, François Folscheid et moi-même avons été accueillis dans les églises Saint-Sulpice de Rou et Sainte-Croix de Marson à l’occasion des Journées du Patrimoine 2019. Les 21 et 22 septembre, nous y avons proposé une lecture poétique et musicale, intitulée Correspondances, sur le thème « Arts et Divertissement ». Nous avons en effet tissé des correspondances, des liens, entre nos textes, qui étaient ponctués par des intermèdes musicaux, joués à la flûte soprano par Dany Lecènes. Nous nous étions partagé les textes et avions choisi de dire indifféremment nos poèmes ou ceux de l’un ou de l’autre, ceci dans le but de varier voix et rythme.

Dany a ouvert cette lecture poétique en chantant « Les petits papiers » de Serge Gainsbourg. Ces petits papiers « chiffon » ou « buvard », « de riz ou d’Arménie »,  « velours » ou « dessin », « glacé » ou « carbone », ou encore « machine », sont autant d’invitation à écrire.

C’est ainsi que François proposait « Une page blanche pour écrire », un texte inédit dans lequel neige, nuages, écume s’associent, « pour retenir la blancheur qui neige sur les mots avant de fondre dans le noir de l’encre. »

Suivait un de mes poèmes inédits, « Variations sur « Voyelles » » d’Arthur Rimbaud. Jouant sur les sonorités,  il évoque le mystère de l’écriture à travers « lA vIvAntE dE tOUt pOEmE »

Dany nous faisait alors écouter un poème extrait de Ephémères, « Violons violoncelles ». Cette suite de pentasyllabes, sur un rythme léger, est une invite à danser tout en célébrant l’éphémère de l’amour : « […] Dansez dansez belles/ Dansez douces amantes/ Violons violoncelles/ Dans la nuit qui vente »

L’incursion dans la musique se poursuivait avec  un inédit de François, évoquant Chopin : « Chopin est au souvenir ce que la pluie est à la boucle de la mélancolie […] »

C’était de nouveau la danse avec mon poème inédit, « Au bal du temps », inspiré par le tableau, La Danse de la Vie, d’Edvard Munch. On y découvre les « couples tanguant dans le soir » tandis que « la rosière fait tapisserie ». « […] Les musiques se sont tues/ Que sont danseurs devenus »

Et l’on dansait encore avec un poème de Dany, « Au bal de la rue », extrait de Ephémères. Entre Musset et Verlaine, un texte empreint d’une mélancolie douce : « […] Et passent les heures/ Et sonne minuit/ Mon cœur est ailleurs/ Il pleut sur Paris/ Et passent les heures/ Et sonne minuit/ Ma peine se meurt/ Ma peine s’enfuit »

La Danse croate d’un compositeur anonyme, jouée à la flûte par Dany, concluait cette première partie.

Puis nous sommes revenus à la peinture avec un texte inédit de François, qui évoque le tableau de Corot, Souvenirs de Mortefontaine. Il en décrit l’atmosphère : « […] Grâce et mélancolie, attente et retenue. On en revient avec des transparences bleuies, des appels de sous-bois, des sources dévoilées dans la vapeur des secrets. »

Je poursuivais avec un de mes poèmes, extrait de Vert jardin, « A Fausses-reposes », que m’avaient inspiré les étangs de Ville d’Avray : « […] A Fausses-Reposes/ Camille Corot/ L’eau métamorphose/ En des ciels floraux »

François nous proposait alors d’écouter la clarté de la musique de Pergolèse, dans le poème « Stabat mater », extrait de D’infiniment de pluie et d’aube : « […] Là-bas, dans la plaine, les bouquets de nos mains assemblées font un couloir d’oiseaux lents ; là-bas un poudroiement de lumière abolit la souffrance. […] ».

Quant à moi, dans un poème inédit, « Douceur de l’Angelico », je tentais d’approcher la pureté rayonnante de Fra Angelico. : « […] Sous le ciel de Toscane/ Aux collines étagées/ Parmi les champs de fleurs/ Aux printemps lumineux/ Fra Beato Angelico illustrait sa prière/ C’était une légende dorée/ Dans un vieux livre […] »

Caresse et douceur caractérisent aussi les « Femmes-fleurs de Monet » que François célèbre dans son recueil, D’infiniment de pluie et d’aube : […] Nous irons vous cueillir, femmes, fleurs, nuages, à petits pas légers, jusque dans le blanc du ciel, jusque dans le blanc du rêve, pour aller nous fondre dans l’air. » Beauté des femmes, que François admire encore dans le texte inédit, intitulé « Renoir… » : « […] Renoir, chevelure : ondoiement d’orange et de blé, gerbes à vivre dans le beurre du vivant. »

C’était à mon tour d’exalter la beauté féminine à travers mon poème, « Dans ta robe de soie », inspiré par Madame Chan, dans In the mood for love, et extrait de Vers rêvés. Il s’achève ainsi : « Dans ta robe organdi ton corps se mouvait/ Tes gestes dessinaient des courbes lumineuse/ La minute arrêtée claire et voluptueuse/ Au miroir de soie où ton âme habitait »

Avec « Boticelli naissance de Vénus », c’est la sublimation de la femme en peinture que François célèbre dans « D’infiniment de pluie et d’aube » : « […] Née de l’eau, de l’or et du vent, sa chevelure est le rêve qui éclaire la caverne des hommes – flambe douce, à jamais chargée des secrets liquides de l’âme. »

Extrait de Mais l’ancolie…, le poème « Jean et Ursine » m’a été inspiré par l’enluminure, L’homme zodiacal, extrait des Très Riches heures du Duc de Berry : « […] Du Zodiaque absolu le temps viendra toujours/ Et j’y ajouterai l’ours noir et le cygne/  Gémeaux nous brillerons à l’éther de l’Amour/ Dans la constellation seront Jean et Ursine »

Un Andante, de Walter Roehr, à la flûte, nous amenait vers la troisième partie de la lecture.

Dany célébrait alors l’art poétique avec un petit quatrain, extrait de La Joie n’a pas de poids :

« De nature encombrée de songes inutiles/ Poétiser peut-être, ainsi l’eau dans les pierres/ Torturant son chemin au gré de l’immobile/ Initie-t-elle enfin l’essentielle rivière »

La céramique aussi est sujet d’inspiration, comme en témoignait le texte de François, intitulé EMAUX, et extrait de D’infiniment de pluie et d’aube : « Terre et feu, mais doucement, car il nous faut de grands émaux./ Terre et feu encore, car il nous faut le jour et l’ombre et l’or,/ Le grand or craquelé dans sa lumière de chêne et de cidre. »

Un de mes poèmes inédits, « Ecroulement », invitait alors à voir la peinture de Turner : « Quelle alchimie dans l’œil aigu du peintre/ Toutes règles enfreintes/ Quand tout se défait quand tout se déforme/ En jeux protéiformes […] » 

Avec le sonnet, « Là où il y a souffrance », extrait de Les Lachrymots, Dany rendait hommage à tous les artistes : « Là où il y a souffrance, il y a art, c’est la loi/ La matière, l’essence et si le mot prend chair/ Affûtez-vous poignards aux longs reflets impairs/ Après l’amputation, avant la mise en croix. […] »

De nouveau, François nous invitait à nous souvenir des peintres et surtout de Van Gogh, avec « A ce qui chavire », extrait de D’Infiniment de pluie et d’aube, et un inédit, « Van Gogh en ses lunes » : « A ce qui chavire dans les ciels et les blés de Van Gogh, tout chahutés de la danse des tempêtes : ici l’orange, le jaune ont giclé en copeaux de feu ; là le blanc, le bleu ont roulé en écume de lune. […] » Et il poursuivait : « […] Van Gogh de terre et de feu, sacrifié à pleins poumons sur l’autel de l’inaccessible aurore. »

Une autre artiste « maudite », Camille Claudel, me permettait d’évoquer l’art de la sculpture avec un poème inédit, « A Camille en Galatée ». Il se clôt ainsi : « […] Chez Rodin l’auguste sculpteur/ Dans l’atelier déserté/ Par la folie du feu sacré/ Gît le moule froid de Galatée »

Puis c’était une invitation à me suivre « au musée des Beaux-Arts de Dunkerque », avec un poème inédit, intitulé « Nature morte ». Il décrit le contenu d’une vitrine d’exposition et se termine ainsi : « […] Entre la conque de la Naissance/ Et le crâne aveugle de la Mort/ Une tragique nature morte »

Un Allegro de Telemann, toujours joué à la flûte par Dany, annonçait la dernière partie de notre lecture.

Celle-ci débutait par un sonnet de Dany, « Une heure après le lever du jour », extrait des Lachrymots. Il lui avait été inspiré un matin par la campagne normande : « Une heure après le lever du jour, le soleil/ Avait perdu sa teinte rouge d’abricot/ Canteloube chantait coincé dans la radio/ Si bien qu’on entendait la France à son réveil […] »

Ensuite, j’emmenais l’auditoire à Venise avec « Regard dans la Tempête », un poème extrait de Mais l’ancolie… Je tente d’y décrypter le mystérieux tableau du Giorgione, La Tempête :

 « […] Et moi/ Je voudrais m’ensommeiller là/ Dans ce lieu vert et utopique/ En l’intime des éléments/ Etre la femme et son enfant/ Que l’homme enfin regarderait/ De son œil d’amant lumineux/ Sous le plombé du ciel d’orage »

Avec le quatrain, « Le petit air penché de la chapelle », extrait de La Joie n’a pas de poids, Dany nous permettait une brève incursion rieuse dans le domaine de l’architecture : « Le petit air penché de la chapelle/ Incline à pardonner quelques péchés véniels/ Au premier rang des- quels l’ivrognerie/ Du maître d’œuvre qui louvoie au paradis »

De la chapelle à la cathédrale, nous ne pouvions manquer d’évoquer l’incendie de Notre-Dame. Ce que j’ai fait avec mon poème inédit, « A Notre-Dame » : « Elle a péri dans les flammes/ La forêt de Notre-Dame ;/ Sur le parvis endeuillé/ Gisent des charbons brûlés. […] Lundi de Semaine sainte,/ Journée tragique et défunte,/ Notre-Dame, corps vivant,/ Comme le Christ souffrant,/ Aura vécu son martyre,/ Mais sans jamais s’avilir,/ Aura souffert sa Passion/ Vers une Résurrection. »

Un détail du panneau central du triptyque du Jardin des Délices de Bosch m’avait inspirée. C’est ainsi qu’avec le poème « Préadamites »,  je rêve sur l’œuf transparent : « Dans le jardin délicieux aux suaves couleurs/ Parmi les fruits géants les bêtes monstrueuses/ Un homme et une femme revêtus de blancheur/ Sont assis tous les deux dans la sphère harmonieuse […] »

François, quant à lui, continuait à rêver en musique avec « L’infiniment de pluie de Brahms », extrait de D’infiniment de pluie et d’aube. : « […] Vaste ondulation mourante, longue plainte à faire tourner les goélands au creux des vagues, au creux de soi. […] »

Et avec le poème « A la lumière portée », extrait du même recueil, François nous emmenait faire un dernier détour chez les peintres : « A la lumière portée à son comble de poussière d’or, sur un trois-mâts de brume, de Turner. […] Aux colosses de jambon et de neige, buvant aux charrettes de la vie et de la mort, de Brueghel. »

Je rendais alors hommage à Seamus Heaney, grand poète irlandais, et prix Nobel de Littérature 1995 : « […] Et maintenant l’éclaire/ La lanterne aubépine/ Lui qui creusait la langue/ De son stylo trapu/ Seamus Heaney le Sage/ Marcheur parmi les cairns/ Et il habite enfin/ Ce qui lui échappa »

Dany nous donnait ensuite à entendre un extrait d’un monologue théâtral, La lettre de Jézafata à son bourreau. Il rend hommage au poème en nous invitant à  «  […] Croire au rythme. S’illusionner du chant. Et puis darder la petite joie rougeoyante qui se souvient de la première étincelle du Tout. Pourquoi voudrais-tu que la Mort existe après le poème ? »

L’avant-dernier texte de Dany affirmait que « Les poèmes sont des oiseaux/ Heureux/ De quitter la cage des livres »

Et Dany la chanteuse a clôturé cette lecture poétique et musicale en chantant « L’âme des poètes », chère à Charles Trénet : « Longtemps, longtemps, longtemps/ Après que les poètes ont disparu/ Leurs chansons courent encore dans les rues […] »

Si le public à l’église Saint-Sulpice de Rou ne fut guère nombreux, l’auditoire de Marson le fut davantage et les applaudissements nourris. Après ce partage d’une parole poétique, hélas souvent trop rare, alors qu’elle éclaire le quotidien des jours, le maire de Rou-Marson nous a offert, comme à son habitude, un apéritif convivial.

Et je ne voudrais pas passer sous silence le commentaire chaleureux et inspiré  d'une amie, qui m'a écrit ce petit message au lendemain de cette lecture :

"Continuez ! Continuez à écrire et à nous faire bénéficier de tous ces mots que la pensée, le rêve, bref la poésie, vous inspirent. Continuez même si cela ne remue pas les foules. C'est essentiel pour vous, pour nous, pour l'esprit humain qui ne saurait vivre sans cette étincelle, même si souvent, petite braise oubliée, elle semble dormir sous la cendre.

Merci encore à vous trois pour cet excellent moment."

Photo ex-libris.com

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31 mai 2018 4 31 /05 /mai /2018 20:56

Réverbère à Marcq-en-Baroeul

(Photo ex-libris.over-blog.com, lundi 28 mai 2018)

 

 

Tu as vu

La lumière des réverbères est jaune

Du coup on dirait que la nuit est marron

Comme de l'or et de la boue

 

Lucille, Ludovic Debeurme

 

 

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23 mai 2018 3 23 /05 /mai /2018 10:13

Coquelicots dans le hameau de Kérouriec (Morbihan)

(Photo ex-libris.over-blog.com, le 17 mai 2018)

 

In Flanders fields the poppies blow

Between the crosses, row on row,

That mark our place; and in the sky

The larks, still bravely singing, fly

Scarce heard amid the guns below.

We are the Dead. Short days ago

We lived, felt dawn, saw sunset glow,

Loved, and were loved, and now we lie

In Flanders fields.

Take up our quarrel with the foe :

To you from failing hands we throw

The torch; be yours to hold it high.

If ye break faith with us who die

We shall not sleep, though poppies grow

In Flanders fields.

 

Major John McCrae – 1915 – Boezinge

 

En me baladant dans la campagne bretonne j’ai photographié ces coquelicots, petites « crêtes de coq » ou petits « drapeaux ». Et, en cette année où nous commémorerons l’armistice de 1918, j’ai pensé au poème de John McCrae, « In Flanders fields ».

On ignore les circonstances exactes de la création de ce texte écrit en mai 1915 par un médecin militaire canadien, alors à son poste à Essex Farm, à 2 km au nord du centre d'Ypres, et qui mourut le 28 janvier 1918 à l’hôpital de Wimereux. Fut-il rédigé par le soldat après les funérailles de son ami Helmer au matin du 2 mai ? Ou bien lors des temps d’attente de l’arrivée des soldats blessés ? Toujours est-il que McCrae retravailla son poème avant de le juger digne d’être publié. C’est le magazine britannique Punch qui le fit paraître le 8 décembre 1915.

La fin du premier vers fait toujours l’objet d’une polémique. Selon Allinson, l’un des membres de l’unité de McCrae, la première version du poème contenait le verbe « grow » (« poussent »). Mais comme celui-ci est aussi utilisé à l’avant dernier-vers, le magazine Punch obtint l’autorisation de le remplacer par le verbe « blow » (« s’envolent »). Par la suite, on trouvera indifféremment l’un ou l’autre verbe. Et sur un billet de banque canadien, c’est le verbe « blow » qui figure, tandis que plusieurs pièces de monnaie sont frappées à l’effigie du coquelicot. 

Même si certains ont dénigré ce texte, "In Flanders Fields", dans sa simplicité, demeure au Canada un texte emblématique associé aux cérémonies du Jour du Souvenir. 

 

 

Sources :

Wikipédia

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20 avril 2018 5 20 /04 /avril /2018 18:57

 

Cette année 2018, le groupe des Poédiseurs auquel j’appartiens a de nouveau participé au 20ème Printemps des Poètes, dont le thème était l’Ardeur. Un thème magnifiquement illustré par Ernest Pignon-Ernest avec un pastel représentant l’envol d’un personnage ailé : « Est-ce un homme, une femme, un ange, une chimère ? C’est tout cela, mais aussi Zélos, le dieu grec du zèle et de l’ardeur, frère méconnu de Niké, la Victoire. »

Nous avons fait deux lectures poétiques, l’une à la MJC de Saumur, l’autre à la Maison des Associations de Rou-Marson. La MJC de Saumur nous a accueillis avec convivialité et professionnalisme dans un espace tendu de noir, nous offrant aussi de très beaux éclairages. Notre public d’habitués, amateurs de poésie, était au rendez-vous, constitué à chaque fois d’une trentaine de personnes. A la MJC, nous avons eu la chance d’être accompagnés par la jeune violoniste de l’année dernière, Gabrielle Russac. A Rou, c’était le guitariste Ahmed Kéchi, qui a participé plusieurs fois à nos lectures. Nous les remercions de leur présence qui permet de jolies virgules musicales et apporte de belles respirations aux textes.

Pour cette 20ème édition, c’est Sophie Nauleau qui a repris le flambeau à Jean-Pierre Siméon et explique ainsi ce qu’elle a souhaité entreprendre : « Pour Le Printemps des Poètes 2018, je voulais plus qu’un thème, je voulais un emblème. Une bannière qui étonne et aimante à la fois. Un mot dont tous les synonymes disent l’allant, la passion, la vigueur, la fougue, l’emportement. Un vocable vaste et généreux qui, à lui seul, condense l’élan et l’inspiration poétiques. » Le parrain en était Jean-Marc Barr, l’interprète inoubliable de Jacques Mayol dans Le Grand Bleu, celui qui goûte l’ardeur des profondeurs : « Quand tu retiens ton souffle, tu es en harmonie avec la nature, tu n'es rien et ta vie devient plus intense. »

Pour débuter, nous avions choisi un très bref poème d’Anna de Noailles, extrait de son Poème de l’amour (1924), qui déplore l’absence d’ardeur et de désir. « Bien peu de cœurs sont désirants,/ Un tiède destin les rassure […] « Une invitation à exister avec fougue et emportement.

Notre première partie s’est orientée vers l’ardeur poétique avec « Arbre en feu », extrait de Feu profond (1972) de Jean Cuttat. Le poète s’y définit comme « arbre à poèmes », en proie au « feu mystique », auquel il aspire : « […] mais je vis et j’attise/ le feu qui me détruit. » Puis venait un texte qui a bercé mon adolescence, « Le saut du tremplin » ou « Le clown » (Odes funambulesques, 1857) de Théodore de Banville. Combien de fois ne l’ai-je pas écouté sur le tourne-disques familial, dit par Gérard Philipe sur le 33 tours des Plus beaux poèmes de la langue française ! Ce clown, « affranchi de la pesanteur », est l’image du poète épris d’idéal, refusant le prosaïsme du quotidien, aspirant au « ciel pur » et qui, « le cœur dévoré d’amour » s’en va « rouler dans les étoiles ». Banville était suivi d’un bref extrait, « Après l’éclair », d’un poète et diseur de notre groupe, François Folscheid. Il y exprime « l’éblouissement » provoqué par le passage fulgurant d’un Rimbaud qui, certes, « a chu dans la poussière des carabines » mais « derrière lui, un feu a pris qui ne s’éteint pas, ne s’éteint plus, embrase nos fenêtres ». Puis c’était au tour de la poétesse libanaise Vénus Khoury-Ghata de s’interroger sur l’origine des mots. Dans « Compassion des pierres », Les Mots étaient des loups (2016), elle dit leur violence, leur lien consubstantiel aux éléments : vivants, ils sont « barrissements de matières en fusion/ grognements d’eaux mauvaises » et messagers de toutes les souffrances humaines : « Parfois/ Ils s’étrécissent en cris/ se dilatent en lamentations, deviennent huées sur les vitres des maisons mortes ». Leur pouvoir est souverain car ils sont « les clés des portes initiales ». Apollinaire était alors convoqué avec son inoubliable « Nuit rhénane » (Alcools, 1913). En renouvelant le monde, en l’« incantant », le poète en proie à l’ivresse poétique célèbre ici le pouvoir de la création poétique, qui dévoile une réalité plus profonde : « La voix chante toujours à en râle-mourir/ Ces fées aux cheveux verts qui incantent l’été ».

Les poèmes suivants célébraient, chacun à sa manière, l’ardeur d’exister et d’être au monde. Avec « Je t’écris » (De derrière les fagots, 2005), le poète et chanteur Philippe Forcioli célèbre la beauté du quotidien. Il écrit « parce que c’est printemps qui vient/ Parce que c’est du vent dans mes veines/ Et grande veine d’être vivant ». La vie lui apparaît comme un cadeau de l’instant qu’il veut partager avec tous : « je t’écris à toi inconnu mâle ou femelle/ parce que ça tambourine à ma poitrine/ parce que ça chante abondamment/ à cause de ce présent/ et le présent c’est avant tout une offrande un cadeau/ UN PRESENT ». Avec « Emotion » (Les Eblouissements, 1907), Anna de Noailles évoque les instants de plénitude de sa vie « depuis sa douce et lumineuse enfance ».  Elle y énumère tout ce qui l’exaltée, l’a rendue « morte d’azur, morte de volupté », dévoilant ainsi son désir d’infini jusqu’à la douleur. Le poème « Je veux joie » (2018) d’Hélène Sanguinetti choisit de présenter la joie d’un géant courant « sur la steppe » et tenant sa fiancée « dans sa main ». Une image originale pour dire la félicité amoureuse : « Je veux joie, je veux joie, je veux joie. » Dans deux textes inédits, François Folscheid exprime à son tour au conditionnel passé (« Il eût fallu ») la possibilité « qu’entre nous encore, vibre et chante le lieu inouï de vivre ». Il fait du poète un « veilleur de phare » qui garde toujours « la lueur lointaine/ Le feu toujours mourant toujours renaissant/ Sous la cendre du cœur ». Il est relayé en cela par François Cheng dans le poème « Eteindre en nous ce feu » (La vraie gloire est ici, 2015). C’est une invitation à toujours transformer « ce feu/ Qui mord, qui dévore » en « feu autrement/ Plus puissant plus libre » qui métamorphose « tout/ En veillée/ nuptiale ». Dans « Rire ou pleurer » (Le cœur innombrable, 1901), Anne de Noailles invite chacun à déployer la profondeur de son cœur, à le rendre fécond, afin « que l’âme chante et se lève/ Comme une vague dans le vent ». « Marathon » (Revue Bacchanales, octobre 2017) de Catherine Jarrett décrit la course d’un marathonien, poussant son souffle « dans la chaleur dans la brûlure ». Allant jusqu’au bout de lui-même, telle une « flèche il dépasse/ Flexible liane le délire/ Il dépasse il franchit/ Dans le ciel-mère s’écroule/ Au milieu des vivats bravos et liesse ». Ce mouvement ardent s’est poursuivi avec « Partir » (Manèges d’étoiles) de Cécile Chabot. Elle y incite chacun à « aller n’importe où » avec enthousiasme, pourvu que « l’œuvre choisie soit belle, et qu’on y mette tout son cœur,/ et qu’on lui donne toute sa vie. »

Notre troisième partie concernait l’ardeur des éléments. Avec « L’ouragan », extrait de Chants d’ombre (1948), Léopold Sédar Senghor célèbre la violence d’un vent qui « arrache en [lui] feuilles et paroles futiles ». Il exhorte l’ouragan « Vent ardent, Vent pur, Vent-de-belle-saison » à brûler « toute pensée vaine ». Le vent devient symbole de l’inspiration qui va « souffle[r] sur les cordes de [s]a kôra ». Gérard Titus-Carmel, quant à lui, chante la puissance de la mer dans le poème « Mufle grondant de la vague » (IX, Ressac, 2011). Il en loue «  la scansion la répétition », « la colère » et l’imagine pénétrer « dans les entrailles du sable mouillé/ partout sous le monde ». François Cheng invite son lecteur à un remerciement universel quand il lui dit « Tu ramasses le fruit » (La vraie gloire est ici, 2005), et décrit la volupté de le croquer. Un magnificat à toute la Création, qui fait jaillir un « cri d’extase ». Le poème « Les miroirs » d’Alain Freixe s’interroge sur le pouvoir des poèmes, sur ce vers quoi ils vont au-delà des miroirs. Est-ce « un jour de nom mortel », « un jour de grand soleil », « un jour à jeter l’épervier » ? Mais une certitude : « Les miroirs ? On les traversera ». « Et libre rivière, passer ! » Avec « Approchez vos mains de la flamme » (Poèmes, 1934), Claude Roy stimule notre imagination quand nous regardons « le feu au travers ». Il nous y fait pénétrer, en fait naître tout un monde fabuleux « au tremblant filet de [n]os yeux ». Dans « Crépuscule du soir mystique » (Poèmes saturniens, 1866), Paul Verlaine mêle « Le Souvenir avec le Crépuscule ». Dans la senteur des « - Dahlia, lys, tulipe et renoncule », la pâmoison qui est la sienne devient aussi celle de la nature. « L’ouragan Ophelia » (inédit 2017) a inspiré Yvon Le Men, lui donnant l’occasion d’en dire les couleurs du ciel, « plus jaune que bleu », l’odeur de « brûlé » et « de fumée ». En pressentant la menace, il souligne notre fragilité et notre orgueil. S’interrogeant sur le ciel, il en vient à réfléchir sur « ce qu’il y a dessous/ les femmes les hommes/ leurs questions infinies qui tempêtent sous nos crânes ». Comment le poète rejoint le philosophe, c’est aussi le propre de François Cheng, toujours dans La vraie gloire est ici (2005). Il y enjoint son lecteur à ne jamais éteindre sa flamme, même « Au bord de l’île perdue,/ au bord de tout », dans le but « Qu’un jour l’éternité/ la reconnaisse ». André Schmitz fait encore l’éloge du vent dans « Le vent est de passage » (Une poignée de jours). Il le décrit tel « l’inconnu, celui qui surgit/ d’une brèche dans l’horizon » et de « sa langue de feu » apporte trouble, vie et fascination. Comme l’Esprit-Saint, il fait qu’ « On se parle dans toutes sortes de langues./ On ne comprend rien/ mais on va peut-être tout savoir. » Dans « Correspondances » (Les Fleurs du Mal, 1857), Baudelaire affirme que la Nature n’est pas muette et que c’est au poète de la déchiffrer. Par le biais des correspondances ou synesthésies, il nous révèle que certains parfums puissants « chantent les transports de l’esprit et des sens ».

Les textes de la quatrième partie de notre lecture déclinaient le thème de l’ardeur en lien avec une certaine forme de mélancolie. C’était d’abord Jean-Marc Natel, célébrant la couleur noire avec le poème « Devant une peinture de Pierre Soulages ». La fin évoque ce « Noir irradiant irradié d’une ineffable poésie/ M’envahissant soudain de sa lumière noire/ Comme par un éclat d’aurore dans la nuit ». Dans « Je suis là… », Laure Morali (Orange sanguine, 2015), au sein d’un quotidien banal, « dans le brouhaha des travailleurs/ en tailleurs et costumes », perçoit le bonheur d’exister : « mais ce matin ma propre/ respiration, m’apparaît/ comme un miracle », dit-elle. Un de mes poèmes, « Sur un printemps qui tarde à venir » (Mais l’ancolie…, 2015), avait été retenu. J’y rêve à un passé « exultant de caresses » mais hélas disparu : « Dans mon cœur impatient/ Se peut-il qu’il renaisse ». Dany Lecènes, une de nos diseuses, a dit ensuite un sonnet de sa composition, « Femme libre » (Les Lachrymots). Parodiant Baudelaire avec son premier vers, « Femme libre toujours tu chériras l’amer », elle évoque le difficile combat, fait de « larmes » et de « gouttes de sang » de celle qui veut conquérir sa liberté. Elle conclut : « L’automne deviendra ta saison familière/ Dont tes pas garderont à jamais la poussière/ Mais tu auras acquis l’or des béatitudes ». Après, Edith avait choisi de chanter « Message personnel » de Françoise Hardy et Michel Berger. Une chanson qui dit l’ambivalence du sentiment amoureux quand, entre volonté et impuissance, on demande à l’autre de répondre à l’amour qu’on lui porte : « Et cours, cours jusqu’à perdre haleine/ Viens me retrouver ». Un autre de mes poèmes évoquant le passage du temps a été dit par Claude. Si nos corps sont « fourbus », « le cœur en nous/ Jamais économe/ Combat comme un fou/ Vibrant métronome ». C’était ensuite au tour de Marina Tsvétaïeva de célébrer l’ardeur de l’âme qui « ignor[e] toute mesure », cette âme « Fumant sous le cilice/ Comme un haut brandon de résine » et qui se consume dans le feu : « Ame, l’égale du bûcher ! »

Le groupe de poèmes suivants étaient rassemblés autour du thème de l’ardeur de l’amour. « Si j’ai parlé d’amour » (Les jeux rustiques et divins, 1897) de Henri de Régnier présente un narrateur exprimant son amour à la nature entière, de l’eau à l’oiseau en passant par le vent. Et de conclure : « Si j’ai aimé de grand amour/ Ce furent ta chair tiède et tes mains fraîches/ Et c’est ton ombre que je cherche. » Le « Sonnet 18 » de Shakespeare (Sonnets, 1609) était dit successivement en anglais et en français. Il affirme la pérennité du sentiment amoureux qui demeure à travers l’écriture. « When in eternal lines to time thou grows/ So long as men can breathe or eyes can see,/ So long lives this, and this gives life to thee. » « Aussi longtemps qu’hommes respireront,/ Aussi longtemps que tes yeux sauront voir,/ Vivront ces vers, qui te donneront vie. » (Traduction d’Yves Bonnefoy). Lui succédait le poème souvent mis en musique d’Aragon à sa muse Elsa Triolet, « Nous dormirons ensemble » (Le Fou d’Elsa, 1963). Un poème au futur qui exprime la certitude de l’amour, hier, aujourd’hui et demain : « Mon amour ce qui fut sera […] Aussi longtemps que tu voudras/ Nous dormirons ensemble. » Dans Les heures d’après-midi (1905), Emile Verhaeren chantait l’ « Ardeur des sens, ardeur des cœurs, ardeur des âmes ». A la lumière d’un soleil dont la force « est plénière », le poète déclare son amour absolu à celle qu’il aime : « Je t’aime tout entière, avec mon être entier ». Véronique et Edith ont dit alternativement le texte de Bernard Friot, « Je le crie sur les toits », un poème plein d’humour dans lequel le corps tout entier exprime l’amour fou : « hou là là c’est excitant/ exaltant époustouflant/ vraiment/ d’aimer ». Ensuite, de nouveau, Aragon était à l’honneur avec « Les mains d’Elsa » (Le Fou d’Elsa, 1963). Merveilleux poème qui dit le pouvoir sensible et bouleversant des mains dont les doigts « pensent » et qui, en un éclair, pénètrent l’inconnu. « Donne-moi tes mains que mon âme y dorme/ Que mon âme y dorme éternellement. » Dans une adresse à la femme aimée puis à l’amour lui-même, Prévert fait de l’amour une force de vie et un sauveur. : « Dans la forêt de la mémoire/ Surgis soudain/ tends-nous la main/ Et sauve-nous. »

Notre dernière partie était consacrée à une ardeur plus sensuelle, plus charnelle. A quatre nous avons d’abord dit mon poème intitulé « Au tablao de l’Albayźin », écrit en 2012 à l’occasion d’un voyage en Andalousie. Il décrit le flamenco que dansent trois Espagnoles. Je m’y interroge sur le « mystérieux duende » de cette danse qui raconte l’histoire d’une Espagne métissée qui vit naître Lorca. La fin du poème souligne la puissance et le magnétisme de cette danse : « Souffrance et volupté/ Le flamenco/ Comme un couteau ». Anne, notre diseuse anglaise, nous a fait respirer « avec ivresse et lente gourmandise » « Le parfum » (Les Fleurs du Mal, 1857) de Baudelaire et ses effluves capiteux aux senteurs de « fourrure ». Edith avait choisi de dire « Je te regarderai » (Il pleut des grâces) de notre diseuse Dany Lecènes. La poétesse y décrit le regard, le mouvement et la parole qui conduisent au baiser et à l’étreinte. Qu’importe si c’est la nuit dehors, « il fera jour dans l’enchantement/ clair, dans la vapeur d’un rêve, dans l’oubli, dans la perte,/ dans le saisissement de nos chairs enlacées. » Véronique a poursuivi sur cette thématique de l’enlacement avec « Ce n’était pas un jeu », un inédit de Bernard Friot. Il y décrit la violence de l’acte d’amour : « On s’est aimés. A se blesser ». Il y exprime la vérité d’un jeu qui, dans sa vérité, est douloureux : « Et on savait que c’était vrai. Parce que ça faisait mal. Mal./ Mal. J’en ai la marque sur le cou. Et toi ? Toi ? » Alain Duault a mis le point d’orgue à ce thème avec un poème extrait de Ce qui reste après l’oubli, Une hache pour la mer gelée. III. On y découvre un  vers fluide et musical, exprimant le souvenir en miettes d’un amour fou, où mort, nature et beauté ont partie liée : « c’est cet instant juste avant/ Qu’on redoute/ ce galop dans les reins quand on embrasse ».

Notre lecture poétique ne pouvait que s’achever avec le texte de Baudelaire, extrait des Petits poèmes en prose (1869), « Enivrez-vous ». N’est-ce pas le seul moyen pour  « ne pas sentir l’horrible fardeau du Temps » ? Oui, « Pour n’être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous ; enivrez-vous sans cesse ! De vin, de poésie ou de vertu à votre guise. » Et pour notre groupe des Poédiseurs, il est certain que nous avons définitivement choisi la poésie !

 

 

 

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7 février 2018 3 07 /02 /février /2018 17:10

No Time for Tomorrow, Crédit Photos Jalal Al-Mamo

Du 10 au 28 janvier 2018, le Théâtre Le Dôme à Saumur a proposé une exposition des photos du photo-journaliste syrien Jalal Al-Mamo, intitulée No Time for Tomorrow. Ce correspondant des agences Reuters et AFP de 2013 à 2016, né à Alep en 1986, a fui la Syrie en février 2016 et vit actuellement à Saumur.

Dans le chaos syrien et alors que nombre de ses amis s’engageaient dans des milices antigouvernementales ou étaient arrêtés, Jalal Al-Mamo a fait le choix du reportage et de l’information. Travaillant au Media Center d’Alep et très marqué par le sort subi par certains de ses amis, il a utilisé ses images et ses textes afin d’informer sur ce qui se passait dans Alep Est. Ceux-ci décrivent les bombardements bien sûr mais aussi l’espoir des civils qui continuent leur vie malgré les événements. Bien que Jalal Al-Mamo affirme qu’aucun média n’est capable de rendre compte exactement de ce qui se passe là-bas, ses photos réalistes et pleines de compassion sont un poignant témoignage de la vie dans ce pays ravagé par la guerre.

Dans le cadre de cette exposition, Silvio Pacitto, le directeur artistique du Dôme, a demandé aux Poédiseurs, le groupe auquel j’appartiens, de faire une lecture poétique de textes sur la guerre et l’exil. C’est ainsi que le 11 janvier 2018 à 12h 30, lors d’un temps appelé Midi-Poésie, devant une petite trentaine de personnes, nous avons proposé vingt-huit textes sur ce thème.

Dans la préface à son recueil de poèmes, Elle va nue la liberté, la poétesse syrienne Maram Al-Masri écrit que la poésie ne peut justifier son existence et témoigner de sa noblesse que si elle se mêle aux combats de l’humanité. Les poètes syriens, turc, vietnamien, français, du Burundi, de Côte d’Ivoire, connus et inconnus, choisis pour cette lecture poétique, se sont ainsi faits les chantres de cette haute mission, qui associe lyrisme et engagement.

Dans une première partie, les poètes syriens ont fait le constat que la Syrie « est une blessure qui saigne ». Hassan Ezzat (né à Damas) « casse la flûte de [sa] poésie » et renonce à chanter car seul « le sang de [son] pays est [son] encre et [son] art ». Maram Al-Masri, personnifiant son pays natal meurtri (« C’est ma mère sur son lit de mort… c’est l’orpheline qui est abandonnée… C’est une femme violentée chaque soir par un vieux/monstre…), espère que « le peuple de l’arc-en-ciel […] rayonnera après la tempête et la foudre ». Mohamed Omrane (né à Tartous) salue les martyrs « d’une ville brûlée » et fait le constat suivant : « notre résurrection commence dans le rouge ».

No Time for Tomorrow, Crédit Photos Jalal Al-Mamo

Puis les poètes écrivent l’histoire terrible de toute guerre civile. Nizar Qabani (né à Damas) évoque un « temps noir », un « temps sec », un « temps de la fausse victoire » où tout devient mensonge. Il exhorte alors le poète au devoir impérieux de « tuer le monstre ». Aram, quant à lui, en dépit d’un cœur « déchiré par les corps des enfants/et l’odeur de la poudre », continue à croire en l’amour. Il le compare à « un soldat blessé réclamant/une chanson de paix ». En un texte puissant dans sa brièveté, Maram Al-Masri donne à voir ce père qui marche « d’un pas magistral » en portant son enfant mort tandis que John Saleh (né à Qamishli) rappelle l’innocence des enfants de son pays, déchirés entre « un ciel plein d’amour/et de barils de mort ». Abdulkarim Baderkhan (né à Homs), malgré « les rires pleins de larmes de [sa] déception », et « ses morceaux épars dans les ruines », espère en le retour de la femme aimée : « Reviens-moi femme faite de baisers ». Mazim Al Haksan Souleymane fait le portrait d’un enfant dont la guerre fait un « déplacé », un « réfugié » et qui ne craint même plus « la bombe qui était/dans sa main ». Nesrin Trabelsi (née à Damas), « dans l’exil de l’insomnie », se voit projetée dans « l’inquiétude et la peur », tout en rêvant d’une fille qui danserait comme autrefois. Et d’inviter ses rêves à se battre « avec les cauchemars/à l’entrée de la ville ». Hussein Habasch (né à Alep) décrit un homme blessé, « tranquillisé » par la terre « chaude, brûlante/comme son corps » qui fait délibérément le choix de s’abandonner à la mort : « Il a fermé son corps/et il a dormi d’un profond sommeil ». Samih Choukaer, dans un long poème anaphorique (« Ah ! Si tu pouvais… »), exhorte sa mère à arrêter la guerre « comme autrefois tu/arrêtais la fièvre/avec tes compresses d’eau froide/et tes baisers,… » Maram Al-Masri nous invite à admirer la fierté de cette mère, dont le fils est « un héros » qui ne sourit plus que « dans le cadre/de la photo ». Widad Nabi décompte et « archive » ses « vingt-huit blessures », celles qui ponctuent son existence. « Il n’y a qu’une blessure que je n’archive pas/et que je cache comme un talisman pour ma mort/qui vient/la blessure immortelle de la poésie ».

No Time for Tomorrow, Crédit Photos Jalal Al-Mamo

Ensuite, dans une troisième partie, nous avons proposé des poèmes consacrés à l’exil. Gaël Faye, avec « La mer engloutit » retrace le parcours douloureux et chaotique de ceux qui fuient sans l’avoir choisi, « pour inventer des commencements et désapprendre le désespoir ». « Avec nos valises de nostalgie et nos baluchons de rêves/Nous voguons vers la patrie de tous les hommes:/L’espoir ». Le poème « Nuit d’encre et de sang » de Murielle Zsac met en scène un père naufragé avec son fils, qui l’encourage (hélas en vain !) à tenir bon : « Tenir, il faut tenir/Ce bout d’épave est ton trône de roi ». Nâzim Hikmet, le grand poète turc, dans un poème-leitmotiv, « une chanson qui vous pénètre », évoque avec une mélancolie intense « celui qui s’en est allé ». Sabine Huynh, en quelques vers lapidaires, décrit « la nuit inquiète/sans repos/de l’exil ». Tanella Boni raconte le périple douloureux de ceux qui « ont quitté leurs pays/Le cœur en bandoulière/ Et leurs peaux en lambeaux ». Victimes des  « passeurs de pierres/Qui ignorent les noms des humains », et « ensevelis dans la mer-tombeau », ils deviendront des « corps sans nom sans sépulture ». Maram Al-Masri dit la hâte précipitée avec laquelle les réfugiés sont contraints de fuir leur terre. Courant « avec leur sac/et l’espoir de revenir », ils iront au-delà des frontières pour se rendre compte que « tout ce qu’ils ont emporté/est tombé de leur sac/troué. Eric Dubois donne la parole à un exilé qui demande à l’Autre de le regarder en vérité : « Je ne suis pas une masse sombre/indécise/j’ai des yeux une bouche/des yeux pour voir que tu ne veux pas/me voir ». Il fait le constat tragique que « la vie est une prison aux murs invisibles » édifiée par celui « qui ne veu[t] pas [le] voir ». Un poème, que j’avais écrit en octobre 2017, évoque les silhouettes des émigrés que j’avais croisés dans les champs au cours d’une balade automnale : des « ombres » qui « ramassent/Leurs parents délaissés/Leur terre abandonnée/Leurs espoirs saccagés… » Maram Al-Masri évoque l’importance capitale que prend pour tout exilé le téléphone portable et Facebook qui leur « ouvre le ciel/fermé devant [leurs] visages aux frontières ». Pierre Maubé, dans « Le dormeur du rivage », rappelle avec émotion le petit Alan Kurdi dont la photo du corps noyé « à la lisière de la terre et de la mer » avait bouleversé la planète entière : « Dans l’eau, il a cherché une main./Il est petit, il dort les bras le long du corps./Il est petit, il dort, la tête dans le sable. » Hala Mohamad avoue : « Je n’ouvrirai plus ma porte à personne » car « La tente n’a pas de porte/La tente n’a pas de clef/…Non ».

No Time for Tomorrow, Crédit Photos Jalal Al-Mamo

Dans une quatrième partie, nous avions retenu, en dépit de tout, des poèmes porteurs d’espoir. Ainsi la peintre et musicienne Kawkab Hames aspire à la reconstruction de sa patrie détruite. « Nous allons tricoter du fil de notre âme/la maison des amants,/le nid pour les oiseaux de l’amour et les colombes de la paix ». Son plus profond désir et « qu’on écrive encore des poèmes/pour l’amour, les amoureux et la paix ». Maram Al-Masri, en une forme de litanie de prénoms, évoque la variété des religions et des peuples qui cohabitaient en Syrie. » « Il y a des couleurs et des nuances dans une même patrie », conclut-elle. Enfin nous avons achevé notre lecture avec le très beau poème de Maram Al-Masri, « Elle va nue la liberté » :

Elle va nue, la liberté,

sur les montagnes de Syrie

dans les camps de réfugiés.

Ses pieds s’enfoncent dans la boue

et ses mains gercent de froid et de souffrance

Mais elle avance.

 

Elle passe avec

ses enfants accrochés à ses bras.

Ils tombent sur son chemin.

Elle pleure

mais elle avance.

 

On brise ses pieds

mais elle avance.

On coupe sa gorge

mais elle continue à chanter.

 

Ces textes (sauf « Dans les champs ») sont extraits de :

 

  • L’amour au temps de l’insurrection et de la guerre, Anthologie de la poésie syrienne d’aujourd’hui, Maram Al-Masri, Le Temps des Cerises, 2016
  • Elle va nue la liberté, Maram Al-Masri, Editions Bruno Doucey, 2013
  • Passagers d’exil, Une anthologie établie et présentée par Pierre Kobel et Bruno Doucey, Editions Bruno Doucey, Poes’idéal, 2014
  • C’est un dur métier que l’exil, Nâzim Hikmet, Anthologie établie et présentée par Charles Dobzynski, Le Temps des Cerises, 2009

Musique :

  • Munir Bashir et Omar Bashir, Duo de Ûd

Les Poédiseurs que nous sommes avons aimé cette pause méridienne en poésie qui aura sans doute permis à certains de découvrir l’émouvante exposition de Jalal Al-Mamo. Et nous espérons que ce Midi-Poésie trouvera son public et son rythme.

Le Poèmaton d'Isabelle Paquet, Crédit Photos ex-libris.over-blog.com

Dans le cadre de Midi-Poésie, était aussi installé un Poèmaton. Imaginé par Isabelle Paquet, directrice artistique de la Compagnie Chiloé, c’est une cabine, inspirée du Photomaton que tout le monde connaît. Le lieu ressemble à confessionnal divisé en deux parties. Caché par un court rideau, l’on s’assoit d’un côté et l’on colle son oreille contre un petit orifice grillagé. De l’autre côté de la cloison, une comédienne vous susurre un poème. J’ai cru d’abord que celui que j’avais entendu était de Pablo Neruda. Quand le texte du poème est sorti, ainsi que cela se passe dans un Photomaton, j’ai vu qu’il s’agissait d’un hommage au poète chilien rendu par Kenneth White et intitulé « Chez Pablo Neruda ».

 

 

1.
C’est dans cette maison
entre chemin de fer et océan
qu’il écrivit ces lignes :
« J’ai besoin de la mer
car elle est ma leçon :
je ne saurais dire
si ce qu’elle m’enseigne
est musique ou conscience :
je ne sais si elle n’est que turbulence 
ou être profond
seulement voix rauque
ou lumineuse conjecture
[…]
le fait est que
même endormi
par quelque phénomène magnétique
j’évolue
dans l’université des vagues. »

2.
De ce seul point
tout le paysage chilien
s’ouvre
au nord jusqu’à l’Atacama
et ses grands géoglyphes
au sud jusqu’à Punta Arenas
et ses débris glaciaires 
une étendue de quatre mille kilomètres
une chaîne de montagnes enneigées
au large de la côte un gouffre marin
dans le nord
généré par les eaux froides
du courant de Humboldt
un monde de brume
le camanchaca
dans le sud
un désert de cactus
plus bas encore
des vallées jonchées de rochers
des lacs glacés
des bois de hêtres
et tout au bout
entre Chiloé et le cap Horn
des myriades d’îles et d’îlots
un labyrinthe de fjords
une steppe rude
balayée de vents féroces
et découpés sur le ciel
les pics scintillants du Hielo Patagónico.

3.
Retour à cette maison
entre El Tabo et Algarrabo
sur sa colline rocheuse
face à la mer

avec une question dans l’air

y eut-il ici une réelle « conjecture »
une « profondeur d’être »
ou seulement rouleau après rouleau
d’un grandiose oratorio ?

oublions la question

et contemplons
ce voile de pluie bleue
qui balaie le terrain
depuis Valparaiso.

Kenneth White 
Traduit de l’anglais par Marie-Claude White

 

Cette pause poétique et ludique nous a beaucoup plu. Outre la surprise de découvrir un poème nouveau ou de reconnaître un texte connu, il y a ce moment suspendu où ne comptent plus que les mots, leur rythme, leur couleur, et le souffle de la diseuse.

 

 

https://reporterre.net/Le-Poematon-la-cabine-enchantee-qui-dit-des-poemes

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24 décembre 2017 7 24 /12 /décembre /2017 16:23

Le Nouveau-né, Georges de La Tour

Nativité

 

Pour Malène

qui voulait un poème

sur le tableau de Georges de La Tour

 

Les mains ! Voyez les mains qui tiennent

Cet enfançon silencieux.

L’une étreint fort le petit Dieu,

Et l’autre le soulève à peine.

 

C’est un marmot emmailloté

Au visage gros de sommeil.

Ses yeux clos fixent le soleil

De la ténébreuse Beauté.

 

Marie écoute la lumière

Qui respire contre son sein.

"Mon lumignon, mon tendre rien,

Tu embrases toute ta mère."
 

Ce poème, que je viens de découvrir dans un recueil de poèmes consacré au feu, me donne l’occasion d’évoquer la figure de Jean Mambrino (1923-2012), un poète, devenu membre de la Compagnie de Jésus en 1954.

Pendant quinze ans, à Amiens et à Metz, il est professeur de lettres et de langue anglaise tout en enseignant le théâtre, découvert grâce à Jean Dasté. C'est ainsi qu'il aura pour élève l'un des plus grands dramaturges français, Bernard-Marie Koltès. Passionné par le Septième Art, il se liera d’amitié avec Roberto Rossellini et des cinéastes de la nouvelle vague comme François Truffaut ou Eric Rohmer.

Après sa rencontre avec T. S. Eliot et Kathleen Raine, il entre en relation avec René Char. Trois rencontres importantes marquent également ces années : celles de Henri Thomas, d'André Dhôtel et de Georges Simenon. C’est grâce à Jules Supervielle qu’un ensemble de ses poèmes paraît en 1965 au Mercure de France sous le titre Le Veilleur aveugle. Dès lors, il se partagera entre son travail de critique littéraire à la revue jésuite Etudes, à la rédaction d’ouvrages sur la littérature et à l’élaboration de son œuvre poétique. Sa poésie, simple dans sa forme, trouve son originalité dans ses riches évocations symboliques de la nature. « La poésie, écrivait Jean Mambrino, est un langage silencieux qui efface ses propres traces, pour qu’on entende ce que les mots ne disent pas. »

Avec des ouvrages comme Lire comme on se souvient ou La patrie de l’âme, on peut dire aussi qu’il fut un passeur. De Walter Pater à Kawabata en passant par Jean Giono, l’auteur y évoque des écrivains célèbres ou méconnus en conciliant réflexion et émotion, ainsi que le disait Claude Roy.

Pratiquant aussi bien la forme brève que le style narratif, la poésie, jamais apologétique, de ce jésuite poète « s’inscrit dans la tradition d’un humanisme ouvertement catholique ». « Il a su inventer un nouvel espace où célébrer l’insondable richesse du Christ », écrit le jésuite Claude Tuduri qui commente ainsi son œuvre : « « La poétique de Jean Mambrino se situe d’emblée dans la ligne de celle des écrivains qui cherchent à traduire la réalité dans ce qu’elle a d’essentiel, la présence de l’Être en ce qu’il a de plus authentique et de plus pur. »

Dans toute sa poésie, Jean Mambrino est hanté par la lumière. On ne s’étonnera donc pas qu’il ait écrit sur ce tableau en clair-obscur de Georges de La Tour, intitulé Le Nouveau-né. Tout en accordant une attention extrême aux détails de la vie quotidienne, ce chef-d’œuvre nocturne de la maturité du peintre exprime un profond mystère. La flamme vacillante de la bougie « fait écho à la fragilité de la vie et révèle en même temps l’essence divine de l’enfant ». Même si le rouge de la robe de Marie préfigure la Passion future de son fils, la lumière qui émane de Lui l’éclaire et l’ « embrase » toute, ainsi que le dit magnifiquement le poète. La description précise et réaliste des mains de Marie (« étreint », « soulève ») et du nourrisson endormi (« marmot emmaillotté », « gros de sommeil ») s’allient ici harmonieusement  avec une approche mystique de la scène. Ce que souligne la synesthésie de « la lumière/ qui respire contre son sein. » Le poème exprime donc remarquablement, me semble-t-il, cette « sensation spirituelle », dont Jean-Pierre Lemaire parle à propos de la poésie de Jean Mambrino.

 

Sources :

Jean Mambrino, wikipédia

La poésie de Jean Mambrino, L’innocence retrouvée du sensible, Claude Tuduri

 

 

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12 novembre 2017 7 12 /11 /novembre /2017 18:48

 

Vendredi 10 novembre 2017, les Saumurois inauguraient  au Dôme le Centre de Rencontres de la Poésie Contemporaine. Une soirée non-stop de 17h 30 à 23h pour célébrer la poésie dans tous ses états. C’est Silvio Pacitto, directeur artistique du théâtre, convaincu avec Jean-Pierre Siméon que « la poésie sauvera le monde », qui a souhaité créer ce lieu ouvert à toutes les formes poétiques. Une profession de foi affirmée avec force lors de sa lecture d’un puissant poème de Thomas Vinau et d’une phrase de René Char, soulignant ce « plus » indicible ajouté par la parole poétique.

Photo ex-libris.over-blog.com, le 10/11/2017

La soirée a débuté avec une lecture-performance électroacoustique d’Armand le Poête, auteur d’une quinzaine de recueils, au sein même de l’exposition qui présente ses œuvres. Sur les hauts murs blancs de la Galerie Loire, se succèdent les 36 « Poêmétals » en acier, aux couleurs vives, réalisés avec Guypierre, les très fins « Poêmench’veux, brodés en cheveux par Alic Calm, les « Vidéopoêms » en collaboration avec Laurent Vichard. Ceux-ci s’écrivent sous l’œil de la caméra avec bruitages, montages et objets divers. Avec Armand le Poête, pour qui amour rime avec toujours, foin de l’orthographe : les mots s’amusent, se bousculent, ne craignant ni ratures ni maladresse, dans une liberté foisonnante et ludique. On notera qu’Armande le Poête est timide et qu’il délègue la lecture de ses poèmes en public à son « colocataire », Patrick Dubost.

Photo ex-libris.over-blog.com, le 10/11/2017

Après cette lecture fantaisiste et inventive, les spectateurs ont investi le foyer du Dôme, aux éclatantes couleurs or, bleu et rouge, pour un cocktail amical. Puis ils se sont dirigés vers la salle de conférences afin d’écouter les voix de deux poètes saumurois, Yves Leclair et Albane Gellé. Le groupe de poésie auquel j’appartiens, les Poédiseurs, a proposé une lecture de poèmes d’Yves Leclair, qui fut professeur de Lettres dans le même lycée que moi. Ecrivain saumurois nourri d’humanité(s), fin critique littéraire, grand connaisseur des poètes T’ang, Yves Leclair a reçu le prix Alain Bosquet 2014 pour le cinquième tome de son journal poétique Cours s’il pleut et l’ensemble de son œuvre. Nous avions choisi des extraits de ses textes en fonction des goûts de chacun des neuf diseurs, admiratifs que nous sommes devant cette poésie d’un quotidien banal sublimé par son regard de poète. A la fin de notre lecture nous l’avons remercié de nous avoir permis de tamiser avec lui « l’or du commun », à l’image de ce bref poème, intitulé « A la corde » :

« Eté qui sent la corde

quand tout au fond des fermes on tire les volets

et devise à voix muette à remailler le vrai

cotylédon de la pénombre on se raccorde

au rien

qui vibre en orbe au fond des mondes »

(En contemplant des semelles de corde tressées)

23 juillet 1988

Yves Leclair, Photo ex-libris.over-blog.com, le 7/10/2014

Ensuite, c’était autour de la poétesse Albane Gellé de dire certains de ses textes. Derrière une apparente fragilité, avec une voix douce mais ferme, elle nous a fait entendre les échos d’une écriture résistante et en mouvement, notamment dans le premier texte, « Debout ». Elle nous a distillé des portraits de ses Eblouissants et fait aussi partager son amour des chevaux. Nous avons entendu des extraits d’un texte plus ancien Je, cheval et de son dernier opus bouleversant, Chevaux de guerre :

"Où ? vont nos chevaux, leurs souffles chauds, leurs jambes sûres. Où? partent leurs façons dignes, leurs courbes claires, leur élégance, et cette entière fidélité à ce qu'ils sont. Où ? le bruits de leurs allures, leurs appels, leur fatigue. Où ? l'odeur de leurs encolures, leurs têtes basses, les signaux de leurs oreilles. Où ? leurs poils brillants, leurs flancs nourris, le doux soyeux de leurs poitrails sous des mains caressantes et fines." 

Une écriture en harmonie avec les animaux et les êtres, pour une amoureuse de la nature qui vit à la campagne au milieu des enfants et des poneys.

Albane Gellé, Photo ex-libris.over-blog.com, le 10/11/2017

Après cette double lecture, la soirée poétique s’est poursuivie dans la salle à l’italienne avec le concert Kalamna par la compagnie Eoliharpe. Ce groupe inspiré de jeunes artistes est composé du pianiste Gilles Constant, du contrebassiste François Marsat, avec aux percussions Bachir Rouimi, à la flûte, clarinette et saxo Darian Zavatta. Quatre musiciens qui, avec la danseuse Telma Pereira, accompagnent la chanteuse Claire Bossé. Ils ont magnifiquement interprété les poèmes de la poétesse syrienne Maram Al-Masri, celle dont « les mots enregistrent le fond et le tréfonds/ le scandale et le scandaleux ». Un spectacle prenant et émouvant qui nous a emmenés loin dans ce pays en proie à la violence aveugle de la guerre.

Soutenue et accompagnée par la danse expressive de Telma Pereira, fine silhouette blanche, c’est avec puissance que la chanteuse, altière et sensible, a exprimé le déchirement de la femme syrienne, aussi bien amante que mère, qui aspire de tout son être à l’amour et à la liberté et à laquelle la poétesse s’identifie pleinement. Elle donne la parole à toutes ces femmes  qui « ne savent pas parler », dont « la parole reste dans la gorge/ comme l’épine elles préfèrent l’avaler », celles qui « ne savent que pleurer », dont « les pleurs rebelles soudain jaillissent/ comme une veine rompue », celles qui « reçoivent des gifles ». Un désir violent d'une autre vie qui se manifeste dans la belle image : « Comme un lion en cage les femmes comme moi rêvent de liberté ». Chant magnifique repris sur scène à l’unisson aussi bien par les hommes que les femmes.

La compagnie Eloliharpe

J’ai beaucoup aimé l’équilibre de ce spectacle qui voit le percussionniste venir doubler en arabe le chant en français, la danseuse se faire le reflet des émotions de  la chanteuse ou bien se lover dans les bras du flûtiste, ou encore les six artistes se rejoindre pour une superbe chorégraphie silencieuse. Le concert a connu encore un supplément d’âme quand Claire Bossé, au moment des saluts, a souhaité la bienvenue aux migrants présents dans la salle et accueillis à Saumur. Heureuse de marquer cette arrivée par la grâce de la musique et de la poésie.

Maram Al-Masri

Le programme proposait encore deux événements poétiques : L’apparition, création en lecture et musique par Perrine Le Querrec accompagnée par Ronan Corty à la contrebasse et Makasutras, conférence gesticulée par Nicolas Vargas, poète performeur. Je reconnais avoir renoncé à y assister, préférant demeurer sur la belle impression du concert de Kalamna.

Toujours est-il qu’il faut absolument saluer la réussite de cette soirée d’ouverture de la Maison des Rencontres de la Poésie Contemporaine. Elle a attiré un public attentif et passionné, d’excellent augure pour des rencontres à venir pleines de découvertes, faisant mentir l’idée toute faite que les Français n’aiment pas la poésie.

Mes billets sur Yves Leclair :

http://ex-libris.over-blog.com/article-36881119.html

http://ex-libris.over-blog.com/article-un-orient-intime-causerie-avec-yves-leclair-sur-la-poesie-antique-chinoise-a-la-bibliotheque-medi-124794519.html

http://ex-libris.over-blog.com/article-l-ailleurs-est-dans-l-ici-yves-leclair-s-entretient-avec-alain-veinstein-66094719.html

http://ex-libris.over-blog.com/article-de-virgile-a-dante-un-parcours-vers-la-lumiere-cours-s-il-pleut-de-yves-leclair-124742882.html

Le site d'Albane Gellé :

http://albanegelle.canalblog.com

Le site d'Armand le Poête :

http://armand.le.poete.free.fr

Le site de Eoliharpe :

http://www.eoliharpe.com/créations/

 

 

 

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31 octobre 2017 2 31 /10 /octobre /2017 11:41

 

En ce jour de Toussaint où nous pensons à ceux qui nous ont quittés, écoutons la voix lumineuse, âpre et unique de François Cheng :

 

Entrons dans le solitaire,

Entrons dans le silencieux,

 

Dans le rien,

Le plus rien,

Qui se tait

Mais se sait.

 

Entrons dans le silencieux,

Entrons dans le solitaire,

 

Une voix parle,

Parle sans voix,

Qui se sait,

Mais se tait.

 

Entrons dans l'abyssal antre :

Effroi, frisson, ou offrande

 

Deuxième partie, Lumières de nuit, 

La vraie gloire est ici, 2015

 

 

 

Photos ex-libris.over-blog.com, lundi 30 octobre 2017 : au cimetière de Dampierre-sur-Loire

 

 

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Des blancs ruisseaux de Chanaan

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Nageurs morts suivrons-nous d'ahan

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La chanson du Mal-Aimé, Apollinaire

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